code_galerie Chroniques de l"Humanité, Site Léon Rosenthal

 

 

Léon Rosenthal, militant, critique et historien d'art

Premier salon des Humoristes, L’Humanité, « Chronique de l’art social », 3 avril 1911, p. 2.

Depuis quelques années, un éditeur organisait des « Salons du Rire » qui eurent un grand succès. Dernièrement un différend s’est produit entre l’éditeur et les artistes et ceux-ci ont pris une décision révolutionnaire. Ils ne se sont, sans doute, ni syndiqués ni affiliés à la CGT, mais ils ont résolu de faire leurs affaires eux-mêmes, et c’est entre eux qu’ils ont préparé l’exposition qui s’ouvrira aujourd’hui, dans l’Hôtel des Modes, 15, rue de la Ville-l’Évêque.

L’initiative est intéressante : elle mérite d’être signalée et encouragée. Ajoutons que le Salon des Humoristes a plus de tenue, un cachet d’art mieux marqué que les expositions devancières. La présentation d’ensemble est plus sobre, plus soignée et les exposants, au lieu d’accrocher simplement aux murs des dessins parus ou à paraître dans les journaux illustrés, ont essayé de se produire, sous des aspects plus variés ou plus libres.

Le vestibule est consacré à la politique. Les Humoristes ont estimé que les concours ne devaient pas être l’apanage de l’Institut et ils se sont imposé ce programme : un dessin satirique sur la République. Dirai-je qu’ils n’ont rien donné de vraiment satisfaisant ? Qu’elle soit présentée en courtisane, en tenancière, en forçat ou en cabaretière, Marianne, avec le bonnet rouge, la figure canaille et le corps déformé, est une silhouette que nous connaissons à satiété. Notre ami Gassier a eu l’idée ingénieuse de parodier l’Immaculée Conception de Murillo : il a figuré Marianne enlevée dans les cieux et entourée d’anges qui ont emprunté les figures de Briand, Clemenceau et consorts. Je lui ferai le même reproche qu’à ses concurrents. Toutes ces images, que l’artiste l’ait voulu ou non, ont l’allure réactionnaire. Le public ne sait pas si le dessinateur a eu l’intention de flétrir l’idée républicaine ou s’il ne s’est attaqué qu’aux contrefaçons de la République, et les dessinateurs de gauche se confondent ici avec ceux qui se tiennent de l’autre côté de la barricade.

Hors de cette première salle, le reste de l’exposition est d’allure fort peu belliqueuse. La plupart des artistes ont évité la satire politique ou sociale : ils ont tenu à justifier leur titre ; ce sont des humoristes, observateurs légers et gais, dessinateurs alertes ou poètes fantaisistes. Willette s’amuse, en délicieux badinages ; Steinlen note avec une fidélité sympathique des midinettes ; Forain, de son crayon acerbe, ne songe qu’à montrer sa virtuosité, et Léandre ne s’attaque qu’à monsieur Linthillac. Les jeunes, qui ne sont pas nécessairement originaux, parce qu’ils prétendent à la gaîté, imitent leurs aînés ou s’appliquent d’une façon parfois pénible. Quelques-uns tentent la plaisanterie peinte à l’huile, entreprise périlleuse ; d’autres – et c’est un des côtés les plus imprévus de l’exposition – cherchent la fantaisie dans la petite sculpture.

Au milieu de ces jeunes gens un peu superficiels, quelques artistes nous ramènent au sentiment de notre temps. C’est Maxime Dethomas, qui a fait, pour encadrer la Déclaration des Droits de l’Homme, une composition, qui n’est pas du tout humoristique, mais qui est magistrale et neuve. Gassier note, avec sa verve juvénile, Brisson, Castillard, Charles Benoist, Coutant d’Ivry et met en présence Guesde et Jaurès. Naudin, avec une forme apprise, mais avec une indignation personnelle, flétrit l’assassinat de Ferrer. Poulbot évoque Biribi. Je mets à part, pour la véhémence et l’inspiration et le jet de l’exécution, les dessins de Delannoy. Je ferais certes toutes sortes de réserves personnelles pour ses conceptions et ses appels à la violence, mais il a, comme artiste, une chaleur tout à fait remarquable et exceptionnelle.

Au milieu de la grande salle, avec un apparat un peu emphatique, on a exposé des dessins du caricaturiste alsacien Zislin. Zislin, qui lutte par le crayon contre la germanisation, a été dernièrement emprisonné pour sa propagande et l’on nous convie à protester contre cet emprisonnement. Je le fais très volontiers ; j’espère que la liberté de l’artiste sera désormais respectée en Allemagne et j’étendrai même ce vœu à la France. Delannoy et ses amis seront, j’en suis sûr, d’accord sur ce point avec moi.