code_galerie Chroniques de l"Humanité, Site Léon Rosenthal

 

 

Léon Rosenthal, militant, critique et historien d'art

Le Salon de la Nationale (II), L’Humanité, « Chronique de l’art social », 16 avril 1911, p. 2.

Les gravures n’ont pas, dans les Salons, la faveur du public. Elles demandent, pour être admirées, un effort d’attention dont peu de visiteurs sont capables. Surtout la bourgeoisie, étrangère à tout travail manuel, ne s’intéresse pas aux merveilles techniques qui sont ici réalisées. Nos camarades, graveurs sur métal, lithographes, typos, comprendront, en voyant quelques pages où des compositions importantes sont suggérées par de subtiles indications, ce qu’il a fallu d’adresse, de tour de main, de précision, pour obtenir un trait délié ou plein qui tantôt écrase, tantôt effleure le papier et par lequel la pensée est totalement exprimée.

L’eau-forte originale ne fut jamais su brillante qu’aujourd’hui. Elle se consacre surtout à décrire les paysages de ville, elle est représentée par une pléiade tout à fait remarquable : MM. Dauchy, Béjot, Beurdeley, Heyman, Leheutre, que domine, par sa maîtrise impeccable, M. Lepère. On admire les visions grandioses du maître hollandais Bauer. Les bois de M. Colin, les camaïeux de M. Jacques Beltrand sont des œuvres d’ouvriers. Il faut examiner les recherches de gravure en couleur de M. Devem. La gravure de reproduction est à peine représentée. Elle l’est, il est vrai, par deux virtuoses, MM. Walterner et Mordant.

Il ne faut pas chercher parmi les sculptures, à la Société Nationale [des beaux-arts], les grandes compositions que nous trouverons au Salon des Artistes Français. L’intérêt va d’abord, ici, aux efforts techniques. Plusieurs artistes s’appliquent à traduire le corps humain par d’autres procédés que les méthodes traditionnelles. M. Rodin s’attache aux formes graciles et impubères et parvient à traduire par le marbre l’indécision des corps en leur plein et la palpitation de la vie. M. Bourdelle, avec une volonté singulière, cherche à plier le corps humain au rythme des lignes sinueuses.

D’innombrables bustes, parmi lesquels un beau portrait par M. Alfred Lenoir, les effigies d’une distinction un peu voulue par M. Saint-Marceaux, les lignes gracieuses de M. Aubé ; de très nombreuses petites sculptures où triomphe M. Dejean et où j’ai noté un séduisant groupe de M. Pevelmagne. Là, contre peu d’œuvres capables d’arrêter l’esprit, M. André Lenoir a campé, non sans bonheur, un paysan qui décharge sa hotte remplie des « fruits de la terre ». La figure allégorique que M. Injalbert appelle une Cérès est malgré son nom mythologique, une très vivante et très valable personnification de l’agriculture. M. Mars-Vallet, dans le groupe d’enfants qui couronne son projet de fontaine, a eu tout au moins une idée ingénieuse.

La section d’architecture compte fort peu d’envois, mais il en est qui doivent nous être particulièrement sympathiques. Les camarades de la Bellevilloise ont ici les plans et photographies de leur maison qui fait honneur à M. Chaine. La Crèche laïque des Grandes-Carrières et de Clignancourt a été très sérieusement étudiée par M. Alfred Besnard. Plusieurs artistes se sont posé le problème de la construction d’habitations à bon marché.