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Léon Rosenthal, militant, critique et historien d'art
Avant de se séparer, la Chambre des députés a voté le principe d’une Exposition internationale des Arts décoratifs modernes. Cette exposition sevra s’ouvrir à Paris en 1916. La proposition de loi avait été déposée par un groupe de députés où Sembat figurait à côté de MM. Joseph Reinach, Massé, Charles Dumont, Henry Cochin et Maurice Barrès. C’est dire qu’elle éveillait des sympathies dans tous les partis. Le rapport a été rédigé par notre ami Roblin.
J’aime beaucoup Roblin ; j’ai eu l’heureuse fortune de le connaître adolescent quand il était un laborieux et excellent élève du Lycée de Nevers. Député d’avant-garde d’un pays de mœurs profondément démocratiques, il y a fait une utile besogne. Il parle moins qu’il n’agit ; de principes très sûrs, il est un très habile administrateur. Par son labeur soutenu et positif, par son esprit de méthode et de réalisation, il honore le Parti. Qu’il ait distrait quelques heures de son temps consacré aux bûcherons de la Nièvre et aux communes rurales qu’il a organisées, pour s’occuper de ce projet d’exposition, cela seul suffirait à nous avertir de l’importance d’une question où des intérêts vitaux, nationaux et socialistes sont en jeux.
Son rapport est très bien fait, riche de faits et d’arguments, puisé aux meilleures sources. Je vais essayer de m’en inspirer pour initier nos camarades à des problèmes où ils sont, par bien des points, directement touchés.
Les industries d’art
En un mot, voici ce dont il s’agit. Les industries d’art, les arts appliqués traversent, en ce moment, une redoutable crise. Leur supériorité reconnue jadis par le monde entier est aujourd’hui contestée. La source de richesse qu’ils constituaient jadis pour la France menace de se tarir. Pour lutter contre décadence, il est nécessaire de leur donner un regain de vitalité. L’Exposition projetée doit stimuler le génie de nos artistes, l’initiative de nos industriels et reconquérir la clientèle étrangère.
Depuis plusieurs semaines, le Matin est parti en campagne contre l’invasion en France des produits étrangers. Nous apprenons que l’on a distribué aux enfants de telle école des bonbons viennois, que tel ministère a passé marché pour des fournitures d’origine anglaise ou belge, que des ballots d’images allemandes ont passé la frontière. Une semblable campagne, si elle est absolue, est évidemment fort exagérée. L’internationalisme est une des conditions inéluctables de la vie contemporaine. Nous ne pouvons nous passer de l’industrie de nos voisins ; il est naturel que nous leur achetions, comme il l’est qu’ils s’approvisionnent chez nous. Mais il y a danger véritable, nécessité d’avertir l’opinion, de protester et de réagir si nos achats à l’étranger augmentent alors que nos ventes au dehors restent stationnaires ou diminuent et le péril est surtout grave si certains produits recherchés jadis par la clientèle mondiale cessent de s’exporter et si nous en arrivons à demander aux étrangers les objets même que nous étions habitués à leur imposer. Or, c’est précisément le phénomène qui se passe aujourd’hui pour nos industries d’art.
Un passé glorieux
Vers le milieu du XIXe siècle, nous dominions, en ce point, le marché du monde. L’Exposition universelle de Londres, en 1851 fut un triomphe pour notre production. Ameublement, orfèvrerie, bijouterie, ferronnerie, céramique, tissus de luxe, tout ce qui sortait des mains françaises avait un cachet de supériorité incomparable. L’éclat de cette victoire, l’hommage universel rendu à notre génie, enivrèrent l’industrie française. Nous nous persuadâmes volontiers que nous étions non seulement les premiers, mais que cet avantage ne pouvait nous être disputé. D’autres nations avaient pour elle la force du machinisme, la science du bon marché : elles l’emportaient pour la métallurgie ou pour la camelote ; la France avait un don unique, éminent, incommunicable, son goût qui lui assurait, d’une façon indéfinie, un domaine intangible. On se persuada donc, et nous sommes, pour la plupart, restés jusqu’à ce jour convaincus que l’objet sorti des mains de fée de l’ouvrière française, le bibelot conçu par l’artiste parisien, le meuble sculpté par l’artisan du faubourg Saint-Antoine avaient un je ne sais quoi, une valeur artistique, un chic devant lequel Américains ou Russes n’avaient également qu’à s’incliner et à applaudir. De là à dire que notre organisation artistique était irréprochable, il n’y avait qu’un pas : il fut franchi. Comment douter de la valeur de nos ateliers, de nos écoles, devant de si brillants résultats ?
Rapport Laborde
Cependant, dès le lendemain de l’Exposition de 1851, le comte de Laborde, dans son rapport officiel publié en 1856, avait souligné le danger d’un semblable optimisme et montré toutes les raisons que nous avions de ne point nous endormir sur nos lauriers. C’était un homme singulier que ce comte de Laborde. Érudit de premier ordre, chercheur tenace et original, il avait, avec le sens du passé, la compréhension pénétrante des choses du présent. En art et en politique, il avait certainement plus d’une vue réactionnaire, mais sa clairvoyance lui découvrait souvent les solutions les plus neuves, les plus hardies et comme il n’était pas homme à s’effrayer de sa propre pensée, il apporta dans son rapport des idées artistiques, économiques et sociales d’une puissance et d’une nouveauté telles que nous aurions encore grand profit à nous en inspirer aujourd’hui. Roblin a beaucoup consulté ce travail capital et il lui doit une partie de la force de son argumentation convaincante.