code_galerie Chroniques de l"Humanité, Site Léon Rosenthal

 

 

Léon Rosenthal, militant, critique et historien d'art

Le rôle social de l’art, L’Humanité, « L’Actualité artistique », 28 janvier 1913, p. 4.

 

L’art et la NationL’art, fait économiqueNotre programme

L’Humanité, agrandie, entend accorder aux questions artistiques la place, légitime qui leur est due. L’Art, en effet, n’est pas destiné aux plaisirs égoïstes d’un petit nombre de privilégiés. Il appartient au patrimoine commun et prend sa signification la plus haute lorsqu’il est soutenu par la foi ardente d’un peuple tout entier. Les temples et les statues d’Athènes, les cathédrales et les hôtels de ville du Moyen Âge, reflètent l’enthousiasme des foules, pour lesquelles ils ont été élevés. Les marins d’Athènes admiraient Phidias, et les foulons de Florence Michel-Ange. L’Art, d’ailleurs, ne réside pas uniquement dans les chefs-d’œuvre exceptionnels dus à quelques génies. Tout travail humain, si humble soit-il, renferme une parcelle d’art. Le vase le plus grossier, le siège le plus rustique ne sont pas seulement des objets solides ou fragiles, défectueux ou commodes ; ils peuvent donner des joies à l’œil : ils ont leur part de beauté. Celui qui manie l’outil est, par quelque côté, un artiste. Les grands artistes sont de merveilleux artisans.

Puisque le beau peut se trouver en toute chose, l’art, doit jouer son rôle à tous les instants de notre vie. Il intervient dans le foyer, qu’il rend plus chaud et plus aimable ; il transforme l’école, qui devient accueillante et douce ; il préside à la vie de la cité et veut que les bâtiments publics soient harmonieux, que les rues, les promenades, les jardins, nous donnent de la santé et de la joie. Dans la cité transformée que nous rêvons, les hommes, délivrés du souci perpétuel de la lutte contre la misère, vivront tous de la vie de l’esprit, qui est la vie véritable. Ils participeront tous à l’amour des belles choses et goûteront toutes ces joies qui créent entre les hommes des sympathies mystérieuses. L’art recevra son épanouissement définitif de l’émancipation de l’humanité. Dès à présent, il travaille à cette émancipation. Michel-Ange et Rembrandt, par l’admiration universelle qu’ils inspirent, préparent la fraternité universelle.

*

Mais l’art est aussi un fait économique. Des centaines de milliers d’ouvriers travaillent à la fabrication des objets artistiques. Nous avons d’autant moins le droit de nous désintéresser de cette activité, qu’elle joue un rôle essentiel dans la prospérité internationale de la France. Dans la lutte entre les nations, la France se distingue parce que les produits qu’elle impose au marché mondial sont ceux qui sont marqués par le goût, l’ingéniosité de ses artisans. Tout ce qui est de nature à compromettre notre supériorité traditionnelle doit être combattu par nous.

*

Pénétrés de ces idées, si nous examinons ici le mouvement artistique, ce ne sera pas par un sentiment de curiosité frivole. Les faits que l’actualité nous fournira seront considérés dans leur rapport avec la démocratie et le prolétariat. Nous ne soutiendrons pas exclusivement une école d’artistes. Mais, sans être persuadés que toute innovation est heureuse, nous ferons crédit aux esprits hardis et novateurs, et nous les défendrons, s’il y a lieu, contre la routine et les persécutions. Nous ne cesserons de rappeler aux artistes qu’ils ont des devoirs envers la cité. Nous étudierons toutes les manifestations d’art, donnant une attention particulière à celles qui s’appliquent directement à la vie. Des chroniques, signées par des écrivains compétents ou des artistes, seront consacrées aux problèmes et faits d’actualité. Des études documentées, accompagnées d’illustrations, s’attacheront aux manifestations les plus essentielles. Des informations feront connaître brièvement ceux des événements qui auront quelque signification générale. D’autres notes suivront, d’une façon plus particulière, au point de vue artistique, les constructions nouvelles, les travaux ou projets d’édilité. Il sera rendu compte, d’une façon rapide, de quelques-unes des petites expositions qui, d’un bout de l’année, à l’autre, témoignent de l’activité et des recherches des artistes. Enfin, sans chercher à rendre compte de toutes les revues d’art ou de tous les livres, nous ferons quelques extraits des pages caractéristiques. Telles sont les grandes lignes d’un programme, que l’expérience pourra, sans doute, modifier et améliorer. Avant tout, et sous toute forme, nous nous efforcerons de mêler l’art à la vie générale, de l’imprégner de socialisme et de faire œuvre d’éducation.