code_galerie Chroniques de l"Humanité, Site Léon Rosenthal

 

 

Léon Rosenthal, militant, critique et historien d'art

David et son École, L’Humanité, « L’Actualité artistique », 8 avril 1913, p. 4.

Une exposition importante – La peinture française sous la Révolution et l’Empire – David à la Convention – Les idées de la Convention sur le rôle social de l’art

Une exposition des œuvres du peintre Louis David et de ses principaux élèves, organisée par M. Lapauze, s’ouvre au Petit Palais aujourd’hui ; elle doit durer jusqu’au 9 juin ; elle est ouverte tous les jours, dimanches compris, gratuitement le dimanche et le jeudi. Elle offre une importance capitale, car on a réuni des toiles venues des musées ou des collections particulières de tous les coins de la France et même de l’étranger. C’est une occasion, qui ne se retrouvera pas, d’étudier ce que fut la peinture française sous la Révolution et l’Empire.

Du jour, en effet, où, en 1781, il exposa Bélisaire, David fut acclamé comme le chef d’une révolution artistique. L’art brillant, facile, décoratif et superficiel qui avait répondu aux goûts de la société frivole du XVIIIe siècle commençait à déplaire à des esprits que travaillait déjà le pressentiment de la Révolution. Ils s’enthousiasmèrent pour la peinture austère de David. Les Horaces (1784), la Mort de Socrate (1787), Brutus (1789) mirent le comble à sa réputation. Désormais, il fut considéré comme le chef de l’École française. Les Sabines (1799), Léonidas aux Thermopyles (1814) ajoutèrent encore à sa gloire.

Pour comprendre l’admiration que suscitèrent ces œuvres, dont les sujets étaient empruntés à une Antiquité lointaine et qui peuvent nous paraître, aujourd’hui, malgré leur science, froides et conventionnelles, il faut se rappeler dans quel état d’exaltation, de fièvre, dans quel enivrement de liberté, puis de gloire, la France se trouva sous la Révolution et l’Empire. Toute l’instruction reposait sur l’étude de l’histoire de la Grèce et de Rome, et les héros de David, l’art déclamatoire de l’artiste, étaient au diapason des passions du temps. Ces mêmes passions entraînèrent David à célébrer ses contemporains. Il croyait que le peintre devait représenter des personnages idéalement beaux et, par goût, il n’eût peint que des Grecs et des Romains ; mais il prit part ardente à la Révolution ; il fut député de Paris à la Convention et siégea parmi les Montagnards, et fut ami de Robespierre. Il avait tracé un beau dessin du Serment du Jeu de Paume et projetait d’en faire un grand tableau qu’il ne put qu’esquisser. Il célébra la mort héroïque du jeune Bara ; lorsque Marat eut été assassiné par Charlotte Corday, il partagea l’indignation qui saisit la France révolutionnaire et, dans une toile d’une simplicité et d’une puissance sublimes, il glorifia celui qui était devenu, par sa mort, un martyr de la liberté. Emprisonné après la chute de Robespierre, menacé pendant quelque temps, David fut séduit par l’ascendant de Bonaparte, et Napoléon sut l’attacher à sa gloire. David peignit Bonaparte au Saint-Bernard, le Sacre, la Distribution des Aigles. Il vieillissait au milieu de l’admiration universelle lorsque l’Empire s’écroula. En 1816, il fut exilé comme ancien régicide et il se réfugia à Bruxelles, où il mourut en 1825. Son corps n’a pas encore été ramené en France où le Panthéon devrait l’accueillir.

David avait peint de très nombreux portraits ; il ne les considérait que comme des travaux secondaires : ce sont, au contraire, à l’heure actuelle, ses meilleurs titres à notre admiration. Il notait avec une sincérité et une pénétration merveilleuses le caractère de ses modèles. Parmi les effigies que l’on a réunies au Petit Palais, le portrait équestre du comte Potocki, Lavoisier et sa femme, Mme Verninac, sœur d’Eugène Delacroix, la femme, les filles de l’artiste, Sieyès, le constituant Michel Gérard et sa famille que nous reproduisons ici sont des pages d’une rare beauté. Presque tous les peintres contemporains de David subirent son influence. Il eut une pléiade incomparable d’élèves. Les plus illustres, Gérard, Girodet, Gros, sont représentés ici par des œuvres remarquables. D’autres, dont la notoriété fut moindre, se défendent ici par des pages heureuses et il n’est pas d’élève de David qui n’ait, en ses bons jours, fait de beaux portraits. Des Belges, dont le meilleur est Navez, firent honneur à ses leçons. De son école sortirent encore des artistes épris de pittoresque comme Granet, Léopold Robert ou Schnetz. Ingres fut son élève, élève bientôt révolté. Des sculpteurs, David d’Angers et Rude ; des architectes, les Percier et Fontaine, complètent cette escorte imposante de disciples.

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David, membre de la Convention, du Club des Jacobins, du Comité de Sûreté générale, fut, sous la Révolution, le champion de la cause des arts. Il ne nous paraît pas inutile de le rappeler. Il proclama que les artistes devaient travailler pour la nation ; il affirma, en retour, le devoir, pour la nation, de protéger les arts. « Chacun de nous, s’écriait-il à la tribune de la Convention, le 29 mars 1793, est comptable à la patrie des talents qu’il a reçus de la nature… Le vrai patriote doit saisir avec empressement tous les moyens d’éclairer ses concitoyens et de présenter sans cesse à leurs yeux les traits sublimes d’héroïsme et de vertu. »

Parlant du Louvre ouvert au public en 1793 : « Ne vous y trompez pas, citoyens, s’écriait-il, le musée n’est point un vain rassemblement d’objets de luxe ou de frivolité qui ne doivent servir qu’à satisfaire la curiosité. Il faut qu’il devienne une école imposante. Les instituteurs y conduiront leurs jeunes élèves, le père y mènera le fils. Le jeune homme, à la vue des productions du génie, sentira naître en lui le genre d’art ou de science auquel l’appelle la nature. Écrivons, disait-il encore, à la manière des anciens notre histoire dans des monuments ; qu’ils soient grands et immortels comme la République que nous avons fondée ; et que le génie des arts, conservateur des ouvrages sublimes que nous possédons, soit en même temps, un génie créateur et enfante de nouveaux chefs-d’œuvre. »

Les Montagnards partagèrent les idées de David. Ils protégèrent les œuvres du passé. En un moment où l’argent manquait, où la France était attaquée de toutes parts, ils multipliaient les commandes aux artistes et David put dire : « La convention nationale, toujours juste et puissante, a saisi toutes les occasions de ranimer les arts appauvris, en leur donnant une direction nouvelle et des forces proportionnées au colosse immortel qu’ils auront à soutenir. » Ce témoignage n’a pas été démenti. Je me réserve de dire, un autre jour, comment David organisa d’admirables, d’émouvantes fêtes révolutionnaires et populaires.