code_galerie
Léon Rosenthal, militant, critique et historien d'art
Trois expositions consacrées à l’art des promenades et des jardins vont se trouver, ces jours-ci, simultanément ouvertes. La première, à la Bibliothèque de la Ville de Paris (29, rue de Sévigné, publique et gratuite tous les jours, le dimanche compris, jusqu’au 1er octobre) a été organisée avec les mêmes scrupules scientifiques, là même méthode, le même souci d’instruire qui ont présidé aux expositions antérieures dirigées comme celle-ci, par M. Poëte. Une suite d’estampes, de photographies, de plans, groupes et classés selon l’ordre chronologique, permettent au visiteur de suivre, depuis le Moyen Âge jusqu’en 1830, le développement et les avatars des promenades parisiennes. Une notice de 59 pages compactes, distribuée gratuitement, constitue le guide le plus clair, le plus averti ; c’est, à la fois, un travail d’érudition et un modèle de vulgarisation. On apprend ainsi comment sont nés le jardin des Tuileries, celui du Luxembourg, les Champs-Élysées, leurs aspects successifs, les visiteurs qui, à chaque époque, les ont fréquentés. Les grandes étapes de l’art des jardins sont rendues sensibles : on voit l’ancien jardin à la française avec ses parterres coupés à angles droits, plantes, fleurs, arbustes dessinant des arabesques semblables aux dessins des broderies. Le génie de Le Nôtre, qui introduisit le souci des vastes et des nobles perspectives et conçut des ensembles solennels et grandioses, apparaît dans la transformation des Tuileries. Enfin l’influence anglaise, le goût sensible du XVIIIe siècle éclatent dans la première conception du Parc Monceau. Une seconde exposition, qui sera inaugurée samedi au Pavillon de Marsan (107, rue de Rivoli, gratuite le dimanche), nous dira la part que les sculpteurs, les architectes, les potiers, les décorateurs en général ont prise, de tous temps, à l’embellissement des jardins.
Enfin, on a inauguré hier à Bagatelle une troisième exposition consacrée à l’art des jardins dans la période présente. Placée dans le cadre le plus sympathique, cette exposition est, malheureusement, loin de satisfaire la curiosité. On y voit un choix de peintures remarquables dont les auteurs ont célébré les jardins, des marbres merveilleux et un incomparable vase de Sèvres, œuvres de Rodin, une belle figure de Bartholomé, mais l’art, proprement dit, de la décoration des jardins y est représenté d’une façon bien maigre, tout à fait incomplète et, sur un point au moins, selon un choix exclusif et fâcheux. L’ensemble de mobiliers et installations pour pavillons rustiques réuni à l’Orangerie procède de ce goût hybride inspiré de la Perse, de Munich, de l’imagination d’un grand couturier, qui compromettra la cause de l’art social et rejettera la foule dans le préjugé des styles s’il n’est pas, bientôt, enrayé. De loin en loin, à travers les pelouses et les allées, on découvre des essais décoratifs dont quelques-uns sont ingénieux. Une jolie fontaine de M. Max Blondat, des bustes formant termes de Mme Poupelet et de M. Pierre Roche, des poteries sobres de M. Cazin fournissent des indications précieuses. Il faut leur joindre les grands vases de M. Dunand et l’élégante Flore de M. Dejean que l’on verrait si bien, exécutée en grande dimension, dans le rond-point d’un parc. Mais, en somme, l’art des jardins réside ici surtout dans les dispositions harmonieuses, les allées, les charmilles, les massifs, les pièces d’eau qui font du jardin de Bagatelle une œuvre d’art exquise et, si vous avez quelques loisirs, un dimanche, d’ici une quinzaine, allez admirer la Roseraie en fleurs ; je connais peu de spectacles qui portent aux yeux et à l’âme plus d’apaisement et plus de joie.
Je n’ai pas besoin d’insister sur l’intérêt que présentent, à l’heure actuelle, les trois expositions dont je viens de parler. Au moment où la nécessité des espaces libres apparaît à tous ceux qu’inquiète le surpeuplement de nos villes, au moment où les plus généreux réclament pour la foule les joies d’art bienfaisantes et moralisatrices, il est bon que l’on fasse le relevé du travail du passé que nous ne devons pas laisser détruire et qu’on encourage ceux qui, autour de nous, rêvent d’embellir la cité.