code_galerie Chroniques de l"Humanité, Site Léon Rosenthal

 

 

Léon Rosenthal, militant, critique et historien d'art

L’exposition internationale d’Arts décoratifs, L’Humanité, 9 juin 1913, p 2.

Il faut qu’elle soit réservée à l’art moderne

Les lecteurs de l’Humanité savent qu’à la suite d’un rapport, remarquable de notre ami Roblin, la Chambre des députés, dans sa séance du 12 juillet 1912, adopta le projet dé résolution suivant :

La Chambre invite le gouvernement à nommer sans délai une commission interministérielle chargée d’établir les voies et moyens pour la réalisation d’une Exposition internationale des Arts décoratifs modernes qui aurait lieu à Paris en 1916, sous la direction du Ministère du Commerce.

La commission constituée au ministère du commerce à la suite de ce vote vient, dans sa séance du 23 mai, de prendre une série d’importantes résolutions. Elle décide que l’Exposition aura lieu sauf empêchement majeur, en 1916 sinon, elle sera reculée jusqu’en 1920 pour coïncider avec le cinquantenaire de la République. Si la date de 1916 est adoptée, l’emplacement serait soit le terrain des fortifications à déclasser (Porte Dauphine, Porte d’Auteuil), soit l’île de Puteaux. Si l’on se rabattait sur 1920, on pourrait choisir les terrains des fortifications les plus voisins de la Porte Maillot. Pour assurer le double concours des industriels et des artistes, et l’unité de vues nécessaire à la réussite de l’entreprise, il a été décidé que le commissaire-général appartenant au ministère du commerce serait assisté d’un commissaire adjoint désigné par le sous-secrétariat des Beaux- Arts. La construction d’un palais unique a été écartée et l’on a envisagé l’édification de palais ou pavillons pour les expositions collectives ou particulières en encourageant le plus possible les édifices particuliers. La question essentielle qui se posait à la commission était de savoir a quelles manifestations l’Exposition devait donner asile. Roblin s’était prononcé, dans son rapport, pour l’admission exclusive des modèles et manifestations d’idées nouvelles et d’efforts originaux, en écartant toutes les copies, imitations ou pastiches des styles anciens. J’ai eu l’occasion d’expliquer, à plusieurs reprises, les raisons esthétiques, logiques et économiques, qui légitiment ce point de vue. Au moment où des efforts de rénovation artistique sont faits par tous les peuples industriels, il ne faut pas que, dans un concours auquel l’Angleterre, la Belgique, la Hollande, l’Allemagne, la Suisse, l’Italie, les Pays Scandinaves prendront part, la France songe à opposer à une production vivante des reflets affaiblis de son génie passé. Elle doit apparaître douée d’une activité et d’une puissance de production sans cesse rajeunies. C’est à ce prix qu’elle conservera son prestige et saura reconquérir la clientèle mondiale. La commission s’est ralliée pleinement à cette manière de voir. « L’Exposition, affirme-t-elle, comprendra, des modèles et des œuvres d’une inspiration nouvelle ou d’une originalité réelle en seront exclues; les copie, imitation ou contrefaçon des styles anciens ou du passé.» Elle déclare que les constructions devront être conçues elles-mêmes selon les conditions de l’Exposition, c’est-à-dire se distinguer par leur caractère architectural moderne. Les plans et dessins de façade seront soumis à l’approbation d’un jury. Nous nous réjouissons de ces décisions. Nous espérons qu’elles seront confirmées par le vote du Parlement. Il est à prévoir, d’ailleurs, que, jusqu’au dernier moment, il y aura lieu de lutter pour soutenir l’art vivant contre les champions du passé. Dans un récent article, M. le sénateur Couyba, parlant de l’exposition projetée, ne croyait pas devoir « passer sous silence le rapport présenté au Conseil municipal de Paris au nom de la quatrième commission (enseignement et beaux-arts) par M. A. Deville, président de cette commission, qui s’élève contre la monopolisation de cette exposition par une formule esthétique spéciale à l’exclusion d’une autre. ». M. Couyba ajoutait « ces divergences ne sont pas irréductibles. » II me semble, au contraire, que, sur ce point, il est impossible de céder, et j’espère que nos camarades du Parlement sauront, à l’occasion, soutenir une intransigeance dont dépendent à l’heure actuelle les destinées mêmes.de notre art social.