code_galerie Chroniques de l"Humanité, Site Léon Rosenthal

 

 

Léon Rosenthal, militant, critique et historien d'art

Un tableau de David disparu, L’Humanité, « L’Actualité artistique », 1er juillet 1913, p. 4.

Le 20 janvier 1793, Michel Lepelletier de Saint-Fargeau qui venait de voter, comme conventionnel, la mort de Louis XVI, était assassiné par un garde français qui voulait venger le roi. La Convention décerna des honneurs extraordinaires au député victime de ses convictions et David peignit en l’honneur de Lepelletier de Saint-Fargeau un tableau qui fut placé dans la salle des séances de l’Assemblée, en pendant au célèbre Marat.

Le tableau fut ensuite rendu à David, qui le garda jusqu’à sa mort. À sa vente posthume, en 1825, Mme de Mortefontaine, la fille de Lepelletier, que la Convention avait jadis proclamée « fille adoptive de la République », racheta la page où son père était glorifié. Vous pensez, peut-être, que c’était pour la conserver comme un titre perpétuel d’honneur. Tout au contraire, il était arrivé que la famille Lepelletier déplorait la conduite du parent qui l’illustrait. Rentrée en grâce auprès des Bourbons, la fille du député régicide ne négligeait rien pour faire oublier la mémoire de son père. Les écrits de Michel Lepelletier avaient été imprimés après sa mort ; elle en racheta tous les exemplaires qu’elle put trouver et se flatta – heureusement à tort – d’avoir supprimé l’édition tout entière. En rachetant le portrait peint par David, son intention était de le détruire. Les héritiers du peintre, qui se doutaient de ce dessein, ne vendirent le tableau que sous la condition expresse qu’il ne serait pas détruit « tant qu’un descendant de David subsistera ».

Mme de Mortefontaine a-t-elle respecté cette clause ? Il est certain que, depuis lors, personne n’a revu l’œuvre de David. On ne la connaît que par une épreuve unique d’une gravure inachevée de Tardieu, qui a échappé aux investigations de la famille Lepelletier. D’après une tradition orale persistante, le tableau serait encore caché dans le château de Saint-Fargeau. M. le docteur Paul Gassier, de Saint-Fargeau, nous adresse à ce sujet une note intéressante, que ses dimensions seules nous ont obligé à résumer. Il adjure les organisateurs de la récente exposition David, la famille de David, les amateurs d’art, d’entreprendre, s’il en est temps encore, le sauvetage d’un tableau qui, par le nom de son auteur, les circonstances dans lesquelles il a été peint, doit échapper aux caprices d’une volonté particulière et être regardé comme propriété nationale, ou, tout au moins, protégé comme monument historique. Nous publions bien volontiers, ici, son appel, et nous faisons des vœux pour que reparaisse à la lumière le portrait célèbre et ignoré de Lepelletier de Saint-Fargeau.