code_galerie Chroniques de l"Humanité, Site Léon Rosenthal

 

 

Léon Rosenthal, militant, critique et historien d'art

Les fêtes publiques sous la Convention, L’Humanité, « L’Actualité artistique », 15 juillet 1913, p. 4.

Organisées par David, elles eurent un éclat extraordinaire et furent vraiment populaires.

Dès le début de la Révolution, des fêtes s’étaient célébrées nées d’un mouvement populaire presque spontané telles les Fédérations qui préparèrent la Fédération nationale (14 juillet 1790). La translation des cendres de Voltaire au Panthéon en 1791 s’était faite avec une pompe magnifique. David devint le grand ordonnateur des solennités populaires que la Convention multiplia parce qu’elles exaltaient l’enthousiasme républicain. Il présida à la fête de la Réunion populaire du 10 août, à la pompe funèbre de Marat, à la fête de Toulon, la fête de l’Être Suprême et prépara la fête de Bara et Viala dont le 9 thermidor empêcha la célébration. Il apporta dans l’organisation de ces fêtes, des idées originales et généreuses. Il ne voulait pas réduire les réjouissances à des spectacles joués devant des curieux : « Les fêtes nationales, disait-il, sont instituées pour le peuple, il convient donc qu’il y participe d’un commun accord et qu’il y joue le premier rôle. » Les corps constitués avaient leur place assignée : la Convention, tout entière, figurait dans les cortèges ; à côté d’elle des représentants des sections de Paris ou même, pour la fête du 10 août, des délégations de tous les départements. Ces députations étaient très nombreuses. Pour la fête de la reprise de Toulon, chacune des 48 sections parisiennes fut représentée par cent hommes armés. Des groupes de femmes, d’enfants, de vieillards pouvaient être appelés aussi à figurer. Mais, si nombreux que fussent les groupes qui évoluaient, cela ne suffisait pas à David. Il voulait que le peuple tout entier prît une part active à la fête, qu’aucun curieux ne restât étranger à l’allégresse générale.

Les fêtes se composèrent d’une série de stations faites, auprès de monuments préexistants ou improvisés, par une procession que le public tout entier suivait dans ses évolutions. Ce peuple n’était pas un acteur muet et, quand les artistes de l’Opéra et du Conservatoire chantaient des chœurs, la foule entière répétait les refrains. La plupart des fêtes comportaient l’érection de portiques et d’arcs de triomphe ; des artistes improvisaient des statues colossales : la Régénération, la Liberté, le Peuple français. Quelques-uns de ces monuments destinés à ne durer qu’une journée avaient une valeur d’art réelle. David ne se contentait pas de célébrer la Liberté et la République. Disciple de Rousseau, il profitait de ces occasions exceptionnelles pour développer les sentiments de fraternité humaine. « On verra, écrivait-il dans le programme de la fête du 10 août, le maire avec son écharpe à côté du bûcheron ou du maçon, le noir africain qui ne diffère que par la couleur marchera à côté du blanc européen ; les intéressants élèves de l’institution des Aveugles, traînés sur un plateau roulant, offriront le spectacle touchant du malheur honoré. Vous y serez aussi, tendres nourrissons de la maison des Enfants-Trouvés, portés dans de blanches bercelonnettes ; vous commencerez à jouir de vos droits civils trop justement recouvrés. »

La fête du 10 août 1793, destinée à célébrer l’achèvement de la Constitution républicaine et son acceptation par le peuple, débuta par une cérémonie émouvante. Sur l’emplacement de la Bastille, une fontaine avait été érigée ; fontaine de la Régénération, elle était dominée par un colosse qui personnifiait la Nature. Des seins de la Nature l’eau jaillissait, recueillie dans un bassin. Le président de la Convention y plongea le premier une coupe et successivement tous les membres de la Convention et les représentants des 86 départements burent dans le même vase, tandis qu’éclataient des salves d’artillerie. La foule entonna ensuite un chant d’allégresse. »

Robespierre avait fait décréter la fête de l’Être Suprême pour affirmer, selon les idées de Jean-Jacques Rousseau, la croyance à un Dieu révélé par la Nature. Cette fête fut célébrée, le 20 juin 1794, selon le plan de David. Dès le matin, les maisons avaient été pavoisées. Les citoyens se groupèrent dans leurs sections et se rendirent, en habits de fête, les hommes tenant des branches de chêne, les femmes avec des bouquets de fleurs, au jardin National, c’est-à-dire aux Tuileries, où tout le peuple se trouva réuni. Alors, sur un emplacement disposé en amphithéâtre,       la Convention apparut. Les conventionnels portaient pour la première fois le costume célèbre, avec l’écharpe tricolore qu’ils revêtirent surtout quand ils étaient en mission auprès des armées. Robespierre, président de la Convention, prononça un discours qui est demeuré célèbre et qui fit une profonde impression. Il s’approcha ensuite d’un groupe colossal en papier peint qui figurait l’Athéisme, l’Ambition, l’Égoïsme : il y mit le feu et, quelques instants après, à travers la fumée, apparut une statue de la Sagesse. La foule se remit ensuite en marche, elle traversa la Seine et vint s’ordonner sur le Champ de la Réunion (le Champ de Mars), autour de l’autel de la Patrie et d’un arbre de la Liberté. Cette multitude immense entonna un chœur dont les paroles avaient été écrites sur l’air de la Marseillaise. Les hommes chantèrent la première strophe ; les femmes, la seconde ; la troisième fut clamée par le peuple entier. Le soir, sur une scène, en plein air, on joua une pantomime qui rappelait le bombardement de Lille. Cette fête, favorisée par un temps admirable, avait coûté plus de 1 200 000 francs, somme énorme pour le temps et pour les circonstances. Mais elle laissa, sur tous ceux qui y participèrent, une impression ineffaçable.

Reverrons-nous des solennités semblables ? Michelet se plaignait amèrement que son enfance eût été sans fêtes. Il réclamait, pour l’avenir, ces journées où l’homme se détend d’un labeur dur, s’exalte dans ses espérances et se sent un cœur meilleur. Les circonstances nous ont amenés à organiser des manifestations de combat. Vienne le jour où le prolétariat apaisé pourra se réunir pour chanter, en toute allégresse, la venue prochaine d’une ère de Justice et de Fraternité.