code_galerie Chroniques de l"Humanité, Site Léon Rosenthal

 

 

Léon Rosenthal, militant, critique et historien d'art

Archéologie et progrès, L’Humanité, « L’Actualité artistique », 29 juillet 1913, p. 4.

Voulez-vous apprendre comment une découverte scientifique désintéressée, dénuée en apparence de toute application pratique, peut devenir une source de richesse et un élément de progrès ? Écoutez ce récit.

Au cours d’une exploration mémorable en Perse, M. et Mme Dieulafoy découvrirent les ruines du palais que le roi Darius s’était fait élever à Suse au Ve siècle avant l’ère chrétienne. Les artistes perses avaient revêtu les parois de ce palais de grandes frises en briques colorées et émaillées. M. et Mme Dieulafoy purent en rapporter en France de très importants fragments qui furent installés au musée du Louvre en 1888 et provoquèrent une admiration générale. Sur l’une de ces frises se succédaient, en procession, des archers, dont l’allure, les costumes, les armes, étaient rendus avec une vérité et une noblesse étonnantes. Sur une autre, des taureaux ailés étaient modelés avec une puissance magnifique. La beauté des formes, l’éclat et le jeu des couleurs, la richesse des éléments décoratifs que le temps avait respectés firent une sensation durable. Qui donc, cependant, eût pensé qu’il y eût là pour nous autre chose qu’une leçon d’histoire et qu’un plaisir archéologique ?

Or, il advint dernièrement qu’un architecte de Barcelone demanda à l’un de nos céramistes, M. Alexandre Bigot, la reproduction d’un fragment de la frise des archers. M. Bigot, qui est docteur ès-sciences, eut l’idée, au lieu de reproduire simplement l’aspect de l’œuvre antique, d’en faire une reconstitution totale, aussi bien technique qu’esthétique. Il essaya donc de reconnaître les matériaux et les procédés dont s’étaient servis les Perses. Il obtint des conservateurs du Louvre de menus fragments de la frise : il les soumit à des analyses et des expériences et il consigna le résultat de ses recherches dans un remarquable mémoire qu’il a lu à l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres, il y a quelques semaines.

M. Bigot a reconnu que les procédés des Perses étaient tout à fait différents des procédés modernes et inconnus dans l’industrie actuelle. Les briques dont ils se servaient n’étaient pas faites avec de l’argile, mais avec un mortier de chaux. Ce mortier pouvait être employé cru ou cuit. M. Bigot a retrouvé aussi les méthodes de moulage et d’émaillage de ces briques. Il a pu, dès lors, recommencer exactement le travail accompli il y a vingt-cinq siècles et, quand vous irez au Musée des Arts décoratifs, vous y verrez exposée sa très remarquable reconstitution de la frise des archers.

L’effort de M. Bigot, s’il n’avait pour résultat que de nous livrer les secrets d’un art qui fut pratiqué par la Perse antique et, avant la Perse, par la Palestine, la Phénicie et l’Égypte, serait déjà tout à fait intéressant. Mais il se trouve que le produit dont il vient de retrouver la formule est un composé de chaux. Le mortier de chaux ne prend de retrait ni au séchage ni à la cuisson ; la présence de la chaux vive qu’il renferme lui donne la qualité de rester hygiénique et sain. Au moment donc où l’usage du fer et du ciment armé, en se généralisant, va livrer à la céramique de vastes surfaces à recouvrir et à décorer, la brique perse se présente comme un auxiliaire de premier ordre. Et ce n’est pas un des moindres témoignages de cette justice immanente des choses, qu’une découverte désintéressée d’archéologie orientale, en nous rappelant une civilisation disparue depuis plus de deux mille ans, contribue en définitive à la gaîté, à la beauté et à l’hygiène de nos demeures au XXe siècle.