code_galerie
Léon Rosenthal, militant, critique et historien d'art
Le livre de M. Hourticq, Les tableaux du Louvre, que publie la librairie Hachette, répond au même désir que le Guide, de M. Vitry, que je signalais récemment, celui de rendre accessibles à tous les richesses de notre grand musée. Nous applaudissons trop à ce dessein pour ne pas suivre avec sympathie des initiatives depuis longtemps attendues.
M. Vitry conduisait ses lecteurs à travers toutes les collections et galeries. M. Hourticq se contente d’examiner les salles de peinture, ce qui, d’ailleurs, est déjà une entreprise énorme. Il veut, de plus, non seulement signaler les belles toiles de toutes les écoles, mais s’en servir comme d’exemples, et enseigner, à leur aide, toute l’histoire de la peinture. Le sous-titre de son ouvrage l’affirme, c’est une « histoire- guide de la peinture » qu’il nous offre. Il est gêné, dans son dessein, par la répartition arbitraire des salles et des œuvres. Historien, il devrait étudier successivement chaque école et, dans chaque école, suivre 1’ordre chronologique. Guide, il se croit obligé de traverser, comme elles se présentent, les galeries. Il évite ainsi quelques allées et venues à ceux qui iront au musée son livre à la main, mais il donne à son livre une apparence de désordre qui a, certes, du piquant et de la variété, mais déroutera plus d’un novice, écueil regrettable dans un ouvrage de vulgarisation. Le résumé historique, placé en tête de l’ouvrage, ne sera pas, contre ces dangers, un remède suffisant.
M. Hourticq aime la peinture, son esprit et son goût sont affinés et subtils. Les analyses qu’il donne des tableaux – et il s’est imposé de n’en passer presque aucun sous silence – sont toutes suggestives. Les plus brèves sont ingénieuses ; celles qu’il a développées apprennent à mieux voir les toiles que l’on croyait le plus complètement connaître. Ceux qui veulent se former le goût, ceux qui, devant une œuvre peinte, cherchent en vain par quoi elle peut intéresser, ceux qui veulent contrôler leur propre sentiment, auront grand profit à lire cet ouvrage devant les pages qui y sont analysées. C’est un guide parfait du dilettante ou de l’amateur.
Je regrette de n’y point trouver encore autre chose. Pour M. Hourticq, la peinture fait à peine partie de l’histoire de la civilisation. En réaction contre Taine et les historiens de son école, qui ont vu dans les manifestations artistiques des produits des pays et des époques, il n’y veut voir qu’un langage que chaque peintre parle avec l’accent qui lui est propre. Ce langage est modifié par le renouvellement des sujets qui s’opère, d’ailleurs, fort lentement et par des modifications des techniques qui, elles aussi se modifient avec lenteur. Dès lors, M. Hourticq étudia l’histoire de la peinture comme si elle était indépendante de toutes les modifications de l’histoire, comme si les idées générales, les croyances, les passions ne s’étaient pas succédé, on plutôt comme si toute l’évolution de la vie générale n’avait aucune espèce d’influence sur le pinceau de l’artiste. C’est là une conception ingénieuse, sans doute, parce qu’elle amène M. Hourticq à examiner de plus près et à analyser avec plus de pénétration les questions proprement techniques, les variations du métier, les enrichissements ou les altérations du sens plastique, mais c’est une conception singulièrement étroite, fausse manifestement, et que M. Hourticq lui-même ne peut soutenir jusqu’au bout. Prenez son ouvrage, vous y verrez qu’au début du XIVe siècle en Italie la peinture a commencé à se développer, « le visage morne et somnolent de la madone paraît s’animer ». Pourquoi ? Est-ce là une découverte technique ? Pourquoi se serait-elle opérée à cette époque plutôt qu’à une autre ? Pourquoi ensuite Giotto a-t-il été « un des plus puissants inventeurs de la peinture ? » Est-ce seulement « à force de clarté dans l’expression, de rythme dans la composition » qu’il a « renouvelé les sujets chrétiens habituels ? » Évidemment non. Cette clarté, ce rythme étaient au service d’un esprit et d’un cœur renouvelés eux-mêmes. Ce que Cimabue et Giotto reflétaient, ce n’étaient pas des progrès techniques, mais la métamorphose des conceptions chrétiennes sous l’influence du grand révolutionnaire Saint François d’Assise qui substituait aux terreurs byzantines une religion d’amour divin et humain. M. Hourticq le sait aussi bien que personne, mais cela contredit ses thèmes et il ne le dit pas.
Il est obligé cependant, pour expliquer la différence entre la peinture flamande et la peinture hollandaise du XVIIe siècle, de rappeler que la Flandre et la Hollande se trouvèrent séparées par leurs régimes politiques et religieux. Il ne peut parler de l’évolution de la peinture française au XVIIIe siècle, sous la Révolution et l’Empire, sans faire des allusions brèves aux mœurs et aux passions de ces moments. Ces allusions, ces indications, je les voudrais voir développer. Dans l’analyse de chaque œuvre, je voudrais, à côté du commentaire proprement artiste, que l’on nous apprît ce qu’elle contient d’humain. L’étude de l’art n’est pas seulement capable de nous rendre plus délicats, elle est, au plus haut degré, éducative : les hommes qui ont tenu le pinceau ont vécu, aimé, cru et souffert ; si nous tentons de les connaître, ce n’est pas uniquement pour pénétrer les secrets de leurs ateliers, mais pour entrer en communion totale avec eux.