code_galerie Chroniques de l"Humanité, Site Léon Rosenthal

 

 

Léon Rosenthal, militant, critique et historien d'art

Un conflit entre artistes et industriels, L’Humanité, « L’Actualité artistique », 21 octobre 1913, p. 4.

Les artistes décorateurs avaient accueilli avec joie le rapport de notre ami Roblin, concluant à l’organisation d’une exposition internationale moderne. Ils ont, au contraire, été émus de certains termes d’un rapport de M. Chapsal, adressé au ministre du Commerce au sujet de cette exposition. Les délégués des cinq grands groupements d’artistes se sont réunis le 25 juillet dernier et, à l’unanimité, moins une voix, ils ont adopté un rapport vigoureux du maître Eugène Gaillard. Le rapport Chapsal prévoit la constitution de comités où la place réservée aux artistes mêmes serait minime ou dérisoire. Les artistes prétendent, au contraire, à la majorité absolue, sans conteste ; ils revendiquent « l’autorité et la responsabilité artistiques complètes ».

L’exposition présentera, certainement, deux groupes d’œuvres. Dans l’un, œuvres somptuaires, œuvres uniques ou de destination toute spéciale, les artistes se présenteront en toute indépendance. L’autre groupe, celui du Beau dans l’utile, des objets usuels, destinés à l’édition industrielle, comporte des rapports nécessaires entre l’art et l’industrie. C’est ce second groupe dont le succès est le plus désirable, car la crise actuelle ne touche pas l’objet rare ou précieux pour lequel notre supériorité est incontestée, mais l’objet d’usage pour lequel nous sommes menacés d’être distancés. Or c’est à son sujet que s’inquiètent les artistes. Ils ne veulent pas que les industriels puissent, comme ils l’ont déjà tenté, « faire de l’art sans les artistes ».

Ils demandent que les œuvres soient présentées, dans l’exposition future, par les artistes et artisans, auteurs divers, sous leurs nom et signature, que le nom de la maison éditrice ne figure qu’après celui des créateurs. Ils veulent encore que les œuvres soient groupées par créateurs et non pas par firme industrielle. Ainsi conçue, l’exposition aura certainement moins d’ampleur apparente, elle sera moins tapageuse, mais elle aura plus de tenue et une signification plus complète. C’est, d’ailleurs, par une discipline analogue que les Allemands ont obtenu les résultats retentissants de leurs manifestations récentes. Les industriels, il faut l’espérer, comprendront qu’ils ont tout intérêt à ménager les susceptibilités naturelles et d’orgueil légitime des artistes qui les enrichissent. Un conflit aigu entre artistes et industriels serait déplorable ; souhaitons qu’il soit possible de l’éviter.