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Léon Rosenthal, militant, critique et historien d'art
Le Bulletin de l’Union provinciale des arts décoratifs vient de publier les travaux du premier Congrès international des arts décoratifs, qui se tint l’an dernier, à Gand. Ce congrès, auquel participèrent, à côté des Français et des Belges, des délégués de Hollande, du Luxembourg et d’Italie, avait eu la sagesse de limiter son activité à l’examen de quatre grandes question ; aussi a-t-il pu faire une utile besogne. Le premier problème abordé fut celui de l’évolution moderne de l’architecture et des arts décoratifs. Les congressistes apportèrent, sur ce point, des vues divergentes. Les uns attribuaient tout progrès futur de l’architecture à l’architecte constructeur ; les autres donnaient au contraire, dans l’évolution, la part prépondérante, au décorateur. De même, la nature des rapports entre le maître de l’œuvre et les décorateurs ne fut pas nettement élucidée ; l’architecte doit-il avoir la direction, absolue, ou bien le décorateur doit-il être laissé tout à fait libre, ou encore doit-il y avoir une entente morale entre les deux artistes animés d’une volonté commune ? Le congrès examina ces attitudes et préconisa l’entente complète entre l’architecte et le décorateur sans en préciser les modalités.
Par contre, l’accord fut absolu sur la nécessité de rompre avec tout pastiche, toute imitation avouée ou déguisée des styles du passé. Non qu’il soit recommandé à l’artiste d’ignorer les efforts de ses prédécesseurs, mais il ne doit étudier leurs procédés que pour fortifier sa propre technique, ne s’appuyer sur leur expérience que pour résoudre des problèmes contemporains. À ce sujet, M. Hirsch, délégué du Luxembourg, fit une très remarquable et humoristique communication sur l’évolution de l’architecture contemporaine en Allemagne, évolution qui ressemble par bien des points à la nôtre. Il montra les Allemands remontant le cours des âges, cherchant à travers les pays, passant en quelques années du Gothique au Baroque (style du XVIIe siècle), au Rococo (style du XVIIIe siècle), puis à l’Orient, en arrivant aux amalgames les plus monstrueux « de sorte que le malheureux architecte ou artiste décorateur était souvent dans le cas de faire, pour un seul et même client une salle à manger Renaissance allemande, un salon Louis XV, un boudoir Louis XVI, une chambre à coucher Empire et un fumoir Arabe ou Persan ».
À cette période a succédé un effort de rénovation dont Munich et Darmstadt furent les principaux centres, mouvement qui s’est étendu à tous les arts de la vie et dont les Salons d’Automne nous ont permis, en partie, de connaître les directions fécondes et confuses. À travers des tentatives contestables et de multiples tâtonnements, l’Allemagne semble être arrivée, au moins en ce qui concerne l’architecture, à l’aurore d’une période de réalisation. M. Hirsch a parlé des progrès faits dans la construction des écoles publiques, écoles dont les lecteurs de l’Humanité trouveront ici un exemple et des travaux d’Alfred Messel, qui a inventé pour les grands magasins un style rationnel dont j’espère pouvoir, quelque jour prochain, produire ici des témoignages. Le congrès, après ces intéressants exposés, reconnut que seule l’application judicieuse des matériaux en vue des programmes imposés et leur emploi très franchement accusé selon leur nature serait capable de favoriser l’avènement d’un style adapté à notre temps.
Le deuxième objet proposé au congrès était la participation des artistes et artisans créateurs de modèles des arts appliqués aux Expositions. Il s’agissait pour les artistes, de régler leur action et de sauvegarder leurs intérêts moraux et matériels en conflit avec ceux des industriels et commerçants. Il y a là un problème dont nous avons déjà eu l’occasion d’entretenir nos lecteurs et dont la solution désirable serait un accord ou un contrat entre les deux forces intéressées. Les négociations seront d’autant plus aisées que les deux parties seront plus solidement organisées. Les commerçants et industriels ont des chambres syndicales puissantes. Les artistes, en décidant la création dans chaque pays d’un comité permanent des expositions d’art appliqué et en jetant les bases d’un comité international chargé de coordonner les actions particulières, ont donc utilement travaillé et nous leur devons, nous socialistes, des compliments personnels pour avoir constitué leur « Internationale ».
Je passe la troisième question, d’ordre purement juridique, et j’ai hâte d’arriver à la dernière, qui est, de beaucoup, la plus intéressante pour nous, puisqu’elle posait le problème de l’enseignement professionnel. Ce n’est pas la première fois que je fais allusion, ici, à la crise de l’apprentissage. Nos lecteurs savent que cette crise, qui depuis longtemps préoccupe la classe ouvrière, fait l’objet, en ce moment, de deux propositions de lois déposées devant le Parlement, l’une à la Chambre des députés par M. Verlot, l’autre au Sénat par M. Astier, propositions dont la seconde est plus ample que la première, mais qui concluent, toutes deux à l’organisation de l’apprentissage obligatoire. Il y a quelques mois, M. G. Janneau a poursuivi, dans le Temps, une enquête qu’il a, depuis, réunie en un volume, enquête fort intéressante bien qu’il ait négligé de consulter les représentants autorisés du prolétariat organisé. L’auteur, malgré ses préventions contre la classe ouvrière, reconnaît que le mal est dû, en grande partie, à l’égoïsme patronal et conclut, sans réserve, pour l’intervention de l’État et l’obligation. Le congrès, après avoir entendu une communication très étudiée d’un délégué hollandais, M. Von Saher. qui a tracé le programme d’une école idéale d’apprentissage, a écouté un excellent rapport de M. Henri Dubret, orfèvre de grand talent et qui, depuis plusieurs années, comme vice-président de l’Union provinciale, a étudié passionnément le problème de l’apprentissage. « Nous ne devons pas oublier, dit M. Dubret, que tant que nous travaillerons à la réorganisation de l’enseignement qui doit former nos jeunes générations, qui doit élever l’esprit des peuples, nous travaillons à une œuvre humanitaire qui ne connaît pas de frontières. C’est donc en toute liberté d’esprit, en toute fraternité, que nous devons étudier les méthodes qui fourniront aux hommes de demain les moyens d’acquérir le métier, de transformer, d’utiliser au mieux les matières, plutôt que de continuer à les transformer par des procédés souvent empiriques qui aboutissent au gaspillage.» M. Dubret remarque que l’évolution économique a rendu urgente la transformation de notre outillage ; il rappelle que « toutes les merveilles d’art appliqué que nous gardons jalousement dans nos musées n’ont été en leur temps que des productions journalières, d’hommes de métier », et il affirme que « la rénovation des arts appliqués est étroitement liée à la rénovation des métiers.» Comment cette rénovation s’opérera-t-elle? Reprenant des formules qu’il a exposées, depuis 1908, dans plusieurs congrès, M. Dubret demande l’enseignement pratique à l’atelier, théorique à l’école, le concours de l’État, le concours des associations, l’obligation, le contrat d’apprentissage et des sanctions.
Nous aurons l’occasion de revenir sur tous ces points, d’examiner les difficultés qu’ils soulèvent, les divergences que suscite l’organisation même de l’apprentissage. Pour aujourd’hui, nous nous arrêterons sur la formule si pleine et si précise de M. Henri Dubret, heureux de voir posé devant l’opinion, avec tant de clarté, un problème qui touche si profondément la cause de l’art et la vie nationale.