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Léon Rosenthal, militant, critique et historien d'art
La Chambre vient de voter la limitation de l’affichage électoral. Cette mesure, qui nous réjouit, va, en même temps, rendre plus difficile le problème de la propagande par l’affiche, puisqu’il s’agira, pour les militants, d’exercer une action plus intense sur des espaces plus restreints.
Or, nous n’avons pas intérêt, comme d’autres partis, à envelopper l’électeur de tirades insidieuses ; nous ne faisons pas de polémiques personnelles à moins d’y être contraints, et laissons à d’autres le soin de remuer de la boue. Des affiches concises, rédigées par formules brèves, nerveuses, suffiront à dire notre pensée qui est nette ; elles auront ce double mérite, qui est, si je ne me trompe, l’idéal pour une affiche, de se lire vite et de frapper les esprits, de se retenir aisément.
Mais, et c’est ici que je reviens à mes coutumières préoccupations, rien ne se fit plus rapidement, rien ne se grave mieux dans les esprits qu’une image. Une image dit beaucoup de choses, plus de choses qu’un long discours, plus de choses même que la parole ne peut en exprimer. Précisément parce que les emplacements seront mesurés, je crois qu’il y aurait lieu de donner à l’image, dans la lutte, un rôle considérable.
Ce ne sera pas une innovation. D’autres pays nous ont précédés dans cette voie. L’Humanité a reproduit des affiches illustrées italiennes ; on en a beaucoup fait en Angleterre. Sans chercher des exemples à l’étranger, les antivotards ont, depuis longtemps, usé de propagande ; la CGT l’a utilisé dans sa campagne sur les retraites ouvrières et, il y a quelques mois, d’heureuses affiches dessinées par Poncet, conviaient les socialistes parisiens aux réunions organisées pour l’extension de notre journal.
L’image peut participer à la lutte de la façon la plus variée. Satirique, elle souligne le ridicule, l’odieux de certains faits, de certaines menées. Lyrique ou épique, elle rend visible notre idéal. Elle est capable d’exprimer avec précision des réalités et de rendre intelligibles à tous des comparaisons de statistiques et de chiffres, presque impossibles à expliquer clairement par des phrases. Dans le premier ordre, on entrevoit, par exemple, des dessins sur la misère du prolétariat et la domination du capitalisme, sur les coalitions réactionnaires ; dans le second, on verra exaltées la fraternité humaine, les aspirations d’égalité, de liberté ; dans la troisième, un dessinateur ingénieux saura montrer l’inégalité des charges sociales, le contraste entre les dépenses pour la guerre et celles pour les œuvres de la vie, le faible accroissement des salaires et l’élévation rapide du prix des denrées indispensables. Positive, idéale ou railleuse, l’image est un merveilleux et souple instrument de propagande.
Il se présente évidemment quelques difficultés. Je ne parle pas de l’embarras, pour les militants, de choisir, de la nécessité de rejeter résolument toute affiche d’un caractère grossier, équivoque ou brutal, de n’accepter que des images ayant une vraie valeur d’art. Le bon sens suffit à cela, et, d’ailleurs, à défaut du bon sens, la prudence seule conseillerait d’éviter des armes qui pourraient se retourner contre nous et faire douter de la noblesse native des instincts populaires. Une affiche ne portera que si l’allure en est digne et si elle est vraiment faite de main d’ouvrier.
La difficulté essentielle est donc de trouver des artistes véritables pour dessiner nos images ; il s’y joint la difficulté – trop souvent rencontrée – des frais d’impression de l’affiche. Je voudrais croire qu’il n’y a pas là d’obstacles insolubles. Nos idées éveillent parmi les artistes de vives sympathies, plus de sympathies, sans doute, que nous le pensons. Il suffira aux Fédérations de chercher autour d’elles pour trouver l’homme qui consentira à mettre son talent à leur service et à lutter par le crayon, comme d’autres le font par la plume ou par la parole.
D’autre part, des artistes exercés sauront que, pour frapper les yeux et fixer les esprits, une affiche doit garder un caractère simple, qu’elle ne comporte que des compositions claires, des oppositions de grandes masses, que, si elle est relevée par la couleur, cette couleur même agit par taches franches. Ils feront donc des maquettes dont le clichage et le tirage pourront être réduits. Que l’on parvienne ou non à la résoudre immédiatement, d’une façon pratique, la question vaut, tout au moins, qu’on se la pose. Le moment m’a paru opportun pour le faire, à la veille des élections et au lendemain du congrès d’Amiens.