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Léon Rosenthal, militant, critique et historien d'art
Le droit exclusif de photographier les collections du Louvre appartient, depuis 1883, à la maison Braun ; ce privilège arrive à expiration et la question se présente de savoir comment le droit de photographier sera dorénavant réglé. La régie, par l’État ou par l’administration des musées, n’a, dans les circonstances actuelles, aucune chance d’être adoptée. Deux autres systèmes s’opposent : la concession à un industriel ou la liberté absolue.
La concession à un particulier sera faite naturellement, en échange d’avantages consentis : obligation d’éditer un catalogue et, surtout, rétribution annuelle. La perspective est séduisante d’accroître ainsi les ressources maigres de nos musées. Mais, si l’on y réfléchit, les quelques milliers de francs obtenus d’un concessionnaire seront d’un bien faible secours en un temps où les œuvres d’art se négocient à coups de millions. Les conséquences, en revanche, en seront déplorables. L’adjudicataire se paiera sur le public. Il continuera à vendre les photographies à un prix élevé, à faire payer, le plus cher possible, les droits de reproduction pour les ouvrages scientifiques ou de vulgarisation. On pourra, de temps en temps, avec le produit de la rétribution, acheter une œuvre nouvelle ; on paralysera l’action bienfaisante du musée.
Vendre cher les photographies, faire payer un droit d’entrée, comme d’aucuns le proposent en toute occasion, c’est, proprement imiter Ugolin, qui mangeait ses enfants afin de leur conserver un père : sous prétexte d’enrichir le Louvre, c’est en diminuer la signification. Il faut qu’un musée soit largement ouvert ; il faut que chacun puisse y puiser le repos, la joie, l’apaisement, les leçons qu’il désire ; il faut aussi que l’on puisse en emporter le souvenir au meilleur compte. Par la photographie, la carte postale illustrée, l’image dans un livre scolaire ou dans un album, le rayonnement de l’œuvre d’art s’accroît, l’action d’éducation nationale se décuple.
Enrichissons, s’il est possible, nos collections, mais préoccupons-nous, d’abord, de les rendre utiles. Elles ne sont destinées, ni au plaisir ni même à l’instruction égoïste de quelques-uns ; elles ont été rassemblées au bénéfice de tous, bénéfice spirituel, qui entraîne un accroissement certain de la richesse et de la moralité publiques. Toute taxe, directe ou indirecte, sur les joies de l’esprit est déplorable et funeste et, dans la circonstance présente, puisque l’État ne songe pas à assumer le service de la photographie, c’est par le système de la libre concurrence que le problème doit être résolu.