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Léon Rosenthal, militant, critique et historien d'art
Voici deux morceaux de sculpture fort différents l’un de l’autre ; la nature du talent des artistes qui les ont créés, leur conception, leur exécution, tout semble les opposer. Le bas-relief est puissant, d’une éloquence impérieuse et fruste ; le groupe est délicat, d’un charme discret et raffiné. Prenons-y garde cependant. Les deux œuvres se ressemblent par des points essentiels. Elles ont été conçues, toutes deux, pour des destinations précises et elles répondent parfaitement à leur objet ; elles ont été exécutées librement, en dehors de toute formule d’école. Elles sont, toutes deux, de l’art vivant.
Le bas-relief de Bouchard est destiné à un grand monument que Genève va élever en l’honneur de la Réforme protestante. Il sera accompagné de statues colossales des plus illustres réformateurs, et Bouchard y collabore avec Landowski. Sur une vaste place, sous la pleine lumière du jour, il s’agissait de célébrer d’une façon intelligible à tous, un des plus essentiels moments de l’histoire, un mouvement qui a changé la face de l’Europe. Pourtant, Bouchard ne s’est pas embarrassé ni d’allégories, ni d’une composition emphatique, ni d’un décor tapageur : un docteur lit un livre en chaire, des hommes et des femmes l’écoutent. C’est tout. Mais, il faut que cette lecture soit singulièrement forte et grave pour provoquer un tel recueillement. Pour que ces docteurs, ces riches bourgeois, ces femmes du peuple soient confondus dans une même foule, il faut qu’il y ait un lien puissant capable de les unir. Ils écoutent la parole de Dieu, ils s’exaltent dans la libération de la pensée religieuse. Ils savent qu’ils remuent le monde et, pour sauver leurs âmes, ils bravent la colère des tyrans de l’Europe. Il y a là une majesté qui, par sa simplicité même, atteint, sans effort, au sublime. L’exécution concourt à fortifier cette impression. Dépourvue, par une volonté intransigeante, de tout agrément, réduite à de grands plans équarris, en apparence, plus que modelés, où tout détail est sacrifié, la facture est d’une abréviation hautaine adéquate à la vigueur de la pensée. Bouchard offre l’exemple rare d’un artiste qui joint à la plus haute maîtrise l’instinct populaire le plus profond. Il va, avec une force irrésistible et ingénue, vers le grand et sa technique est, à la fois, audacieuse, logique, accessible et saine.
Le groupe de Dejean est placé sur une cheminée dans la maison d’un musicien. En une allégorie ingénieuse, il évoque les préoccupations chères au maître du logis et dit les harmonies qui chantent dans la tête des poètes inspirés, harmonies auxquelles semblent présider la Jeunesse et la Beauté. Muses inspiratrices, invisibles et présentes. La pensée délicate est traduite en formes rythmiques, que le ciseau a modelées, avec amour, en lignes souples et onduleuses. Ici, tout est raffiné, subtil ; pourtant, nulle mièvrerie, nulle petitesse. La facture est précieuse mais large et la masse blanche du marbre chante, dans la pénombre, caressante, associée étroitement à un intérieur, à une vie.