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Léon Rosenthal, militant, critique et historien d'art
L’Exposition des Artistes décorateurs qui fut inaugurée vendredi, au musée des Arts décoratifs (Pavillon de Marsan, 107, rue de Rivoli), demeurera ouverte jusqu’au 31 mars (entrée gratuite le dimanche). Elle constitue une manifestation de premier ordre et présente une image fidèle, sinon complète, des tendances qui animent, à l’heure présente, les artistes qui, par le meuble, la céramique, le métal, le verre, le tissu, essaient de concourir à l’embellissement de la vie moderne.
Ces artistes, par les conditions mêmes de la société présente, travaillent uniquement pour une clientèle aisée ou riche. Ce n’est pas qu’ils soient incapables de s’adresser au peuple ; quelques-uns d’entre eux, par leurs prédilections, par leur goût des techniques simples, des décors spontanés, semblent prédestinés à travailler pour la joie de tous ; mais il leur est interdit d’y songer. Seules des maisons puissantes, disposant d’outillages perfectionnés, pourvues d’une clientèle extrêmement étendue, pourraient tenter la rénovation de la maison du paysan ou du logement de l’ouvrier. Un artiste, créateur de modèles, qu’il ne peut éditer lui-même par centaines d’exemplaires et que les grands magasins ne lui achètent pas, doit chercher à assurer le bénéfice légitime de son industrie, par la vente de quelques objets de luxe à une clientèle privilégiée. Il semble même que l’orientation s’accentue du côté des installations dispendieuses ; la mode entraîne à un luxe plus tapageur ; les bonnes volontés des clients aux ressources médiocres se voient découragées. Il s’ensuit une espèce de malaise. Remarquons-le d’ailleurs, il y a tout de même quelque profit à tirer, pour les plus modestes, de l’examen des œuvres conçues à l’usage des plus riches. Pour l’ouvrier, avide de beau métier, il y a plaisir à deviner des techniques heureuses ou audacieuses. Pour tous, il y a intérêt à suivre un mouvement artistique intense.
On sait que les créateurs de meubles, d’accord pour répudier les styles anciens, se partagent depuis quelques années en deux camps. Les uns sont, avant tout, des constructeurs et des architectes ; ils étudient la structure, les lignes du mobilier, et veulent en faire la base solide autour de laquelle doit s’ordonner le décor de l’intérieur. Les autres affectent pour l’architecture du meuble un grand dédain ; ils prétendent constituer des ensembles séduisants dans lesquels les tentures, les coussins, les bibelots s’harmonisent et dominent les meubles réduits au rôle de comparses. Pour les premiers, chaque pièce du mobilier doit avoir sa logique, sa valeur propre. Pour les seconds, l’ensemble seul compte. Chaque élément, vu séparément, peut paraître singulier ou bizarre ; il suffit que, de la réunion, naisse un plaisir piquant. J’ai déjà suffisamment, ici, exprimé et justifié mes préférences. Les ensembliers, pour user de leur jargon, sont aujourd’hui à la mode : ils gagnent, assure-t-on, beaucoup d’argent. Il est certain qu’ils ont une grande richesse d’invention, qu’ils sont ingénieux et subtils. Mais, soutenus par le caprice d’amateurs riches, je doute qu’ils puissent longtemps fixer le succès. Leurs créations sont trop tapageuses pour ne pas vieillir très vite ; les formes absurdes ou paradoxales qu’ils admettent deviendront vite insupportables. Est-ce à dire que rien ne doit subsister de leur effort ? Évidemment non, ils ont ramené nos yeux, trop accoutumés aux nuances amorties ou neutres, à la jouissance des couleurs vives. Ils ont donné droit de cité à la fantaisie. S’ils ont fait au style Louis-Philippe abâtardi encore par l’École de Munich, des emprunts regrettables, ils ont aussi écouté des maîtres moins suspects ; il restera quelque chose de la vogue qu’ils ont autorisée des Ballets russes et des miniatures persanes.
Mais l’avenir est assuré à ceux qui auront bâti selon des règles logiques et certaines et non pas pour la faveur d’un jour. On admirera, plus tard, l’énergie austère avec laquelle M. Gaillard a résisté à des entraînements auxquels les meilleurs faisaient au moins de partielles concessions. La salle à manger qu’il présente ici est un modèle de conception lucide, d’exécution nerveuse, d’ingéniosité technique. Ce sont aussi des mérites de clarté, de bonne foi qui recommandent les salles à manger de M. Gallerey, de M. Tony Selmersheim, le bureau d’architecte de M. Maurice Quénioux.
Un artiste d’infiniment de goût, comme M. Dufrène, est, en même temps, singulièrement impressionnable ; son bureau de travail, influencé par les styles anglais, présente une richesse de détails ingénieux : incrustations de nacre, marqueteries de bois, cuivres ciselés. M. Follot résiste moins encore. Il est vrai, qu’à leur tour, les ensembliers s’humanisent ; ni M. Groult, ni M. Mare ne sont aussi délicieusement absurdes qu’ils ont, d’abord, aimé à le paraître. Peut-être les querelles du jour aboutiront-elles à un compromis ou à un juste milieu ? Beaucoup d’idées, une fertilité d’invention extraordinaire, peu de certitude, une sorte de fièvre, voilà ce qui, en dehors de deux ou trois artistes pondérés, semble, à l’heure actuelle, caractériser l’évolution du meuble.
Je poursuivrai, dans quelques jours, l’examen de cette exposition si suggestive et si riche.