code_galerie Chroniques de l"Humanité, Site Léon Rosenthal

 

 

Léon Rosenthal, militant, critique et historien d'art

L’Aphrodite de Rodin et quelques expositions, L’Humanité, 13 mars 1914, p. 2.

La Renaissance va jouer une Aphrodite tirée du roman de Pierre Louÿs. Pour figurer sur la scène la statue de la déesse, Mme Cora Laparcerie a demandé à Rodin un agrandissement d’une maquette qu’il avait dans son atelier, la presse était conviée à voir l’œuvre du maître dans le décor et l’éclairage qui ont été combinés pour la faire valoir.

Peut-être le public ne pourra-t-il pas, de loin, apprécier les lignes flexueuses et le modelé souple de l’Aphrodite. Il devinera, du moins, que la tache lumineuse, éblouissante sur le fond sombre du décor, est digne de son admiration et il ne nous déplaît pas qu’un nouvel hommage soit rendu  à un artiste qui a eu des partisans fanatiques, mais dont le génie a été trop longtemps l’objet de sarcasmes ineptes et d’injures imbéciles.

*

L’exposition, chez Durand-Ruel, d’un groupe important d’œuvres de M. Claude Monet, rappelle la carrière glorieuse de celui qui fut le père de l’impressionnisme et qui, mieux que tout autre, en incarne les admirables ressources. De quels enthousiasmes furent saluées, naguère, les séries évoquées ici : les Falaises, les Meules, les Peupliers, Londres, les Nymphéas et, tout récemment, Venise. Cet art est, aujourd’hui, entré dans la paix de l’histoire. La jeunesse s’en est détournée et, sans doute, elle a raison, car il y avait peu d’espoir de renouveler une doctrine développée avec une maîtrise si intense et si multiple. Mais l’art contemporain est, tout entier, tributaire des vérités qu’instaura l’impressionnisme.

M. Alfred Lombard est, parmi les jeunes artistes, un de ceux chez lesquels se manifeste avec le plus de puissance l’instinct de la composition et de la grandeur. Sa Fortunia, sa Bethsabée, exposées en ce moment à la Galerie Rosenberg, rue La Boétie, ont une véritable autorité.

La semaine est heureuse en expositions intéressantes. Les fantaisies spirituelles et légères de M. Drésa, chez Druet, les recherches des « peintres de neige », chez Reitlinger, les œuvres robustes de M. Thiesson, chez Vildrac, se disputent notre attention, ainsi que le groupe d’artistes hardis rassemblés chez Lévesque, parmi lesquels les sculpteurs Despiau, Niclausse, Mlle Poupelet, paraissent plus sûrs de leur voie que les peintres.

*

Il a été déjà dit tout l’intérêt qu’offre l’exposition de Mme Agutte (Mme Marcel Sembat). D’un procédé technique nouveau, l’usage du fibro-ciment dont MM. Baudouin et Marret avaient déjà montré la valeur pour la fresque, Mme Agutte a tiré un parti imprévu en y appliquant la peinture à l’huile. L’huile y garde sa puissance, mais elle prend un aspect mat, exempt de luisant, qui lui confère un aspect décoratif. Les qualités de Mme Agutte : la netteté aiguë de sa vision, son parti de simplifications, la vigueur franche de son coloris trouvent ici une occasion excellente de se déployer. Des danses, des jeux d’écharpes, des groupes de jeunes femmes sont les thèmes de fraîcheur et de gaîté qu’elle a développés. Par ailleurs, des tableaux de fleurs, des aquarelles, notations de voyage, expriment toute la joie que Mme Agutte éprouve à peindre, joie qu’elle sait nous faire partager.