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Léon Rosenthal, militant, critique et historien d'art
L’exposition des Artistes décorateurs continue à attirer le public au Pavillon de Marsan. Nous avons dit l’intérêt de la querelle entre les meubliers et les ensembliers. Nous ne trouverons plus, à présent, parmi les autres artistes adonnés aux arts de la vie, des divergences aussi vives. Ceux-ci, au contraire, semblent évoluer suivant des directions certaines. Épris tous de belle technique, ils respectent d’abord les lois de la matière sur laquelle s’exerce leur industrie. Ils poursuivent leurs recherches avec méthode. Enfin, ils ont la préoccupation constante d’adapter les objets à une destination déterminée. Cet enchaînement entre les productions d’un même artiste, le respect des matières, le souci de l’adaptation nous assurent que l’art social a retrouvé ses lois véritables. Appliqué aujourd’hui au luxe individuel, il est prêt à aborder les problèmes qui se poseront pour lui dans la société organisée de demain.
La décoration des murailles a pris, dans ces dernières années, une diversité imprévue. Des peintres reprenant, sous des formes renouvelées, une tradition ancienne, composent des panneaux qui seront encastrés dans les murs. Qu’ils peignent sur toile comme Mmes Chauchet-Guilleré ou Galtier-Boissière, qu’ils usent de la fresque comme M. Marret, il semble que leur talent s’affermisse par la contrainte que leur impose le parti pris décoratif, contrainte, d’ailleurs, dont peuvent s’accommoder les tempéraments les plus divers.
Les ensembliers ont tenté de renouveler l’usage du stuc. Sur des surfaces blanches, ils appliquent des décors en relief. Il ne me paraît pas qu’ils soient, jusqu’à ce jour, arrivés à des résultats vraiment convaincants. Il faut leur faire crédit. Les progrès les plus remarquables se manifestent dans le décor par les toiles peintes. Ici, il s’est produit une petite évolution tout à fait significative. Les toiles peintes de Jouy sont redevenues à la mode et l’on s’est, au premier moment, borné à copier les modèles anciens. Aujourd’hui, plusieurs artistes établissent des motifs nouveaux, et il y a là l’invention la plus variée, la plus séduisante : toiles de Rambouillet, toiles de M. Maurice Quénioux. Un vétéran de l’art moderne, M. de Feure, qui, depuis plusieurs années, semblait avoir renoncé à la lutte, rentre en lice avec des toiles délicieuses. N’oublions pas que le prix de revient de ces toiles est assez faible pour que leur usage puisse se populariser.
L’usage des boiseries, moulées, sculptées ou peintes, concourt à la décoration des murailles. M. Le Bourgeois a apporté, dans le travail du bois, des directions tout à fait neuves – neuves parce qu’elles s’appuient sur de très vieilles traditions populaires étudiées de près et interprétées. C’est avec le concours d’artisans briards que M. Le Bourgeois a élaboré les simplifications expressives et saines dont il sait tirer des applications innombrables.
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Les céramistes, les verriers, les ouvriers du métal nous offrent, eux aussi, d’amples sujets d’étude. Mais, à côté de ceux qui ont exposé au Musée des Arts décoratifs, il en est, parmi les meilleurs qui ont préféré participer à une exposition ouverte en ce moment, rue de la Ville-l’Évêque, chez Manzi. Cette exposition, où sont présentées des toiles de Carrière et de Degas, des dessins et un grand carton de Puvis de Chavannes, des dessins de Toulouse-Lautrec et où l’on a groupé une série de bustes, maquettes ou statuettes du maître Desbois, nous aidera donc pour la dernière partie de notre enquête.
Voulez-vous mesurer la fécondité d’un principe poursuivi avec persévérance ? M. Dunand, qui repousse les métaux, ne se contente pas de donner à ses vases des formes heureuses et nouvelles, il les enrichit par la parure de patines précieuses. Frappé de la beauté des taches, marbrures, arabesques capricieuses qui se jouent sur la peau des reptiles, il s’en est servi pour revêtir le métal de réseaux logiques et imprévus, tantôt délicats, tantôt robustes. Cela l’a conduit à étudier la forme même des serpents et nous l’avons vu, au Salon d’Automne, associer à un grand vase le corps sinueux de deux ophidiens. Aujourd’hui, reprenant un motif épuisé, semblait-il, depuis des siècles, le caducée où deux serpents s’enroulent autour d’une baguette, il en a tiré cette pendule d’un aspect sobre et puissant. Autre exemple de développement rationnel, M. Scheidecker, qui ajoure des plaques de métal, étend successivement à tous les objets usuels les applications de sa technique et il présente, cette année, une cage de radiateur remarquable par sa convenance et sa simplicité.
Je voudrais vous montrer comment la céramique, arrivée à une quasi-perfection dans les méthodes inspirées par l’Extrême-Orient, s’est renouvelée ; la part que M. Metthey a eue à cette rénovation, et l’intérêt que présentent des recherches récentes, par exemple les décors très simples en faïence stannifère par M. Avenard. Je voudrais aussi dire la richesse de la production de nos verriers : pâtes de verre et émaux de M. Dammouse, verres moulés de M. Lalique, verres à décors polychromes de M. Marinot, verrerie de M. Jean Luce. L’espace me manque. Aussi bien, ai-je suffisamment dit pour affirmer la vitalité dont sont doués, à l’heure présente, les arts de la vie. Cette vitalité, nous voudrions qu’elle éclate à tous les yeux. L’art rénové a encore des adversaires qui n’ont pas désarmé. Notre ami Roblin, dans un rapport récent sur la prochaine exposition de Lyon, constate que la plus belle place y sera réservée à l’évocation et aux pastiches du passé et il s’en indigne. « Tandis, écrit-il, qu’on fait un immense effort d’argent pour montrer des tissus de la Restauration, on ne fait presque rien pour encourager les fabricants dans la voie de l’art moderne ». Nous nous associons à cette protestation. Les vaillants artisans, dont nous avons examiné les travaux, méritent qu’on les soutienne dans un combat où le renom et la fortune de la France sont engagés.