code_galerie Chroniques de l"Humanité, Site Léon Rosenthal

 

 

Léon Rosenthal, militant, critique et historien d'art

Une promenade aux Indépendants, L’Humanité, « L’Actualité artistique », 24 mars 1914, p. 4.

J’ai essayé, dernièrement, de donner une impression d’ensemble sur le Salon des Indépendants. Je voudrais aujourd’hui indiquer, par quelques exemples caractéristiques, les principales tendances qui s’y trouvent représentées. Les numéros mis entre parenthèses auprès des noms permettront de retrouver les salles où les œuvres sont exposées.

M. Signac (10), chef des néo-impressionnistes, MM. Carlos Reymond (8), Paul Ramond (4), Mme Agutte (10) qui traduisent la lumière et la couleur intenses du plein air ; M. Hans Ekegardh (10) qui reprend les méthodes de Monticelli, apparaissent presque isolés, et, de même, les artistes qui essaient de donner une notation rapide d’une sensation ou d’un sentiment, tels M. Laprade (8) ou Miss Boyd (12). L’effort de composition apparaît presque partout et donne comme un air de sagesse à ce Salon, malgré le tapage des cubistes et des synchromistes localisés, il est vrai, dans quelques salles où ils sont à leur aise et isolés. L’étude du corps humain, influencée par les cubistes, dicte les travaux de MM. Voguet (8), auteur de très beaux dessins, Picart-Ledoux qui a un solide portrait (8), Filley (4), Montag (4). Je signale encore un bon Nu de Mlle Kurnatowska (1) et un portrait d’éclairage fort intéressant de Granzow (salon central). Le souci de structure se manifeste également dans le paysage : paysages de MM. Domergue-Lagarde (4), Laforêt (1), de Mme Caradec (3), toiles apparentées de MM. Charlot (6), Roustan (6), Chénard-Huché (6). Ces préoccupations s’accordent avec des tendances décoratives. Celles-ci dominent les natures mortes de MM. Rougeot (5), Tavernier (1), Zinet (6), les toiles éclatantes de Mme Lucie Cousturier. Elles se marquent dans les esquisses de MM. Bach (3) et Georget (8). Nous avons vu comment, chez M. Deltombe (10), le parti pris décoratif s’unissait au sentiment humain. Avec des techniques très différentes, la même alliance apparaît dans les Fiançailles, carton de tapisserie de M. Dusouchet (2), dans l’Adoration des Bergers de M. Quesnel (4) ou même dans la composition conçue comme un carton de vitrail par M. Van Maldère (10).

Pendant longtemps, absorbés par leurs recherches techniques, les artistes novateurs ont paru ignorer nos joies et nos peines et j’ai eu, souvent, l’occasion de leur en adresser le reproche. J’insiste donc, aujourd’hui, sur leur retour à des préoccupations plus généreuses. Auprès de Luce, qui lui, n’a jamais séparé son art de la vie et dont l’exposition est remarquable (10), voici avec des formules techniques très variées, des artistes qui ont porté leurs regards et attirent notre attention sur des spectacles familiers, quotidiens, source éternelle de poésie : travailleur des quais de MM. Bauche (3) ou Batigne (3), charbonnier de M. Descudé (8), fenaison de M. Süe (1), jeune fille au piano, d’un style très voulu, par M. Jules Flandrin (8). Vous vous rappelez l’intimité de M. Barat-Levraux (8) et voici, sur deux thèmes très simples et analogues, des pages où deux talents différents ont su appliquer leurs tendances : la Couture de M. Renaudot (5) toute en nuances, en indications délicates et silencieuses et la scène Chez la modiste de M. Ottmann (Salon central) construite par volume affirmés et par contrastes véhéments. Est-il besoin de plus amples exemples pour démontrer que l’artiste, épris de poésie et de rêve, comme celui que hante une volonté d’expression plastique, trouvent, tous deux, autour d’eux, auprès de nous, le meilleur emploi de leur activité et qu’ils ne perdent rien, bien au contraire, à associer à l’amour des couleurs et des formes, le souvenir de la cité ?