code_galerie Chroniques de l"Humanité, Site Léon Rosenthal

 

 

Léon Rosenthal, militant, critique et historien d'art

Le vernissage de la Nationale, L’Humanité, 12 avril 1914, p. 1.

Il faut le reconnaître : la Société Nationale [des beaux-arts] a fait un effort remarquable de présentation. Naguère, quand on entrait par le petit jardin de la rue Jean-Goujon, on pénétrait d’abord dans une salle immense et lugubre où statues, statuettes et bustes s’entassaient en pénitence. Cette salle, l’an dernier, on s’était efforcé de l’améliorer et c’était déjà mieux tout en demeurant encore morose. Par un jeu de cloisons et de tentures, on vient de procéder à une totale réfection. Le public, auquel les portes de l’Exposition s’ouvrent aujourd’hui, trouvera à l’emplacement du purgatoire disparu une galerie élégante, lumineuse, subdivisée, par une disposition ingénieuse, en une série de salons où peintures et sculptures s’accordent en une harmonie accueillante. Au-delà, on rencontrera une nouvelle salle de peinture que, par malheur, 1’on est obligé d’éclairer d’une façon permanente à l’électricité et, c’est par ce préambule qu’on arrivera au pied de l’escalier, qui conduit au premier étage. Là, une nouvelle surprise est réservée aux visiteurs. Les artistes décorateurs se plaignaient d’être tenus dans un isolement injurieux, les graveurs, d’autre part, se lamentaient d’être relégués, dans le petit cabinet où les amateurs aimaient examiner leurs œuvres avec recueillement, mais où la foule ne pénétrait jamais. Pour faire droit à ces réclamations auxquelles se joignaient les doléances des sculpteurs, on a tenté, dans les salles 10 et 11, une alliance étroite de tous les arts. C’est là une conception nouvelle qui, depuis plusieurs années, s’est fortifiée à l’étranger, si je ne me trompe, avant de pénétrer en France où elle a été adoptée, tout d’abord, par le Salon d’Automne. Conception logique, conception vivante, s’il est naturel de réunir dans une exposition les œuvres qui se trouveront associées dans les demeures des amateurs comme dans les palais publics.

La salle 10 où, près d’admirables panneaux de M. Maurice Denis, d’aquarelles de Miss How, de compositions décoratives de Mme Crespel, d’eaux-fortes d’Aman-Jean, sont disposées les vitrines de Dunand, Rivaud, Clément Mère, Delaherche, Moreau-Nélaton et Lenoble, forme un ensemble de tout premier ordre. Complété par la petite, salle où règne M. Lalique, on y a moins l’impression d’être dans une exposition que dans un musée. La salle 11, où les sculptures de Dejean et Quillivic, des meubles de Gaillard et Jallot, des pâtes d’émail de Dammouse escortent, avec quelques peintures, les envois des graveurs, est, malgré de tels concours, moins bien venue. Accrochés, pêle-mêle, sur les murs, les uns à quelques centimètres des plinthes, les autres hors de portée de la vue, bois, eaux-fortes, lithographies se font un tort mutuel. Sans les ramener à leur isolement ancien, il serait évidemment possible de les ordonner quelque peu, et c’est, sans doute, à quoi l’on songera l’an prochain. Voilà donc de très notables améliorations et l’on reconnaîtra que nous ne leur mesurons pas les éloges. Pourtant, sans en méconnaître l’importance, nous aurions désiré quelques réformes plus essentielles. Quand on aura admiré l’ingéniosité des organisateurs, on s’apercevra, tout de même, que la Société Nationale [des beaux-arts], obstinée dans son esprit d’exclusivisme, n’a, pas plus que les années précédentes, accueilli d’éléments nouveaux. Elle reste, sous des formes un peu rajeunies, ce qu’elle était hier, c’est-à-dire un salon fort bien fréquenté, où l’on rencontre des invités très distingués, notoires ou illustres, mais où l’on entend toujours la même conversation, où l’atmosphère est confinée : rarement on y voit de nouveaux visages et les jeunes gens qui parviennent à s’y faufiler y sont fort mal reçus, comme des intrus : milieu raffiné, mais où l’on s’est détaché de la vie et qui mourra quelque jour parce que l’air n’y sera plus respirable.

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En post-scriptum : « Je commencerai, au premier jour, l’examen des œuvres exposées. Mes lecteurs admireront la grâce espiègle de la fillette que M. Malo-Renault a dessinée avec un esprit délicat, et gravée avec une incomparable maîtrise. M. Malo-Renault est un des très rares graveurs qui pratiquent la gravure en couleurs véritables, c’est-à-dire celle dont chaque ton est obtenu par une planche et qui s’obtient, par conséquent, par l’impression successive, sur une même feuille, de plusieurs planches repérées. Notre reproduction ne peut donner qu’une idée très imparfaite de la pointe sèche exquise qui est une des pages les plus précieuses du Salon ».