code_galerie Chroniques de l"Humanité, Site Léon Rosenthal

 

 

Léon Rosenthal, militant, critique et historien d'art

Au Salon des Artistes Français, L’Humanité, 30 avril 1914, p. 2.

Le Salon des Artistes Français qui ouvre ses portes aujourd’hui ne suscitera, selon toute vraisemblance, ni grands enthousiasmes, ni grandes colères. Il n’offre ni clou extraordinaire, ni révélation imprévue, ni objet de scandale. Il sera, comme les années précédentes, fréquenté par la bourgeoisie, qui se pressera dans les salles de peinture avec la conviction sincère et fort injustifiée qu’elle accomplit un devoir et se tient au courant du mouvement artistique. Comme les années précédentes, les amateurs véritables subiront, avec résignation, l’ennui des galeries interminables où s’amoncellent des toiles médiocres ; heureux de rencontrer, disséminées dans cette cohue, quelques pages excellentes et de découvrir, aux plus mauvaises places, des œuvres fraîches ou pleines de promesses. On déplorera, malgré quelques contributions excellentes, le manque de tenue, la médiocrité lamentable et la déplorable installation de la section des arts appliqués à la vie. Par contraste, la section de sculpture donnera le spectacle d’un art qui se renouvelle, du choc de formules passionnées, de la vie.

Les tendances actuelles de la sculpture.

Le public intervient volontiers dans les discussions entre les peintres, il ne se contente pas de les suivre, il prend parti avec violence sinon avec justice ; en revanche, il se désintéresse, à peu près complètement, des querelles qui partagent les sculpteurs. Le public a grandement tort. Il n’est pas, à l’heure actuelle, d’art dont l’évolution soit plus passionnante que la sculpture. Les questions de forme, les questions d’inspiration y sont également discutées.

En ce qui concerne l’inspiration, il n’est pas besoin d’avoir une éducation spéciale pour se former une opinion : chacun, selon son tempérament, peut se prononcer en faveur de ceux qui rêvent de beauté pure, ou au contraire, pour ceux qui veulent, par la sculpture, traduire des sentiments humains, s’associer à la vie de la cité. La sculpture doit-elle s’adresser à quelques raffinés, est-elle destinée aux musées, doit-elle parler aux foules et s’ériger sur les places et dans les palais publics ? La question ainsi posée, ne concerne pas uniquement une poignée d’artistes, elle prend une valeur sociale et il ne nous est pas permis de nous en désintéresser.

Les querelles techniques se lient, de la façon la plus étroite, aux querelles d’inspiration. Selon la destination qu’on lui attribue, la statue ne sera ni conçue, ni exécutée de la même façon. Ces procédés d’exécution même ne sont pas si mystérieux qu’il soit impossible d’en comprendre les effets et d’en mesurer les divergences. D’un côté – et j’ai déjà essayé de vous exposer ces points de vue à propos de la Société Nationale [des beaux-arts] – il y a des statuaires qui essayent d’exprimer, de la façon la plus serrée, l’anatomie et la physiologie du corps humain et, aussi, de nous proposer des formes séduisantes et épurées ; de l’autre, il est des artistes qui relèguent au second plan les soucis de science ou d’élégance, se résignent à des simplifications, des déformations mêmes, pour rendre sensibles, avant tout, le caractère et la vie. Les premiers, les artistes savants et idéalistes, ont eu, depuis le XIXe siècle, les succès officiels et l’Institut. Ils ont compté parmi eux des hommes de grand talent, des artistes graves, austères ou délicats qui font honneur à l’art français et aussi une foule d’artistes médiocres, sans feu, sans originalité, qui ont répété, avec habileté, avec virtuosité même, les leçons de l’école.

En face de cette phalange disciplinée, se sont dressés des esprits indépendants et fougueux, des hommes de génie comme Rude, Barye, David d’Angers, Carpeaux. Je ne cite que les morts, des artistes incomplets que tourmentait la prescience de l’avenir et qui ont entrevu les vérités prochaines, Maindron, Duseigneur, Antonin Moine, Triqueti, Préault. L’Institut les a tous également ignorés, quitte à profiter des fruits de leurs expériences. C’est eux qui ont entraîné la sculpture et l’ont rattachée à notre vie contemporaine. La lutte se poursuit aujourd’hui, sous des formes renouvelées, la même querelle se continue. Nous verrons, prochainement, comment elle est posée, cette année, au Salon des Artistes Français