code_galerie Chroniques de l"Humanité, Site Léon Rosenthal

 

 

Léon Rosenthal, militant, critique et historien d'art

Une exposition internationale d’art, à Paris, L’Humanité, « L’Actualité artistique », 29 juin 1914, pp. 1-2.

De 1855 à 1900, les Expositions universelles furent l’occasion de joutes internationales dans lesquelles les artistes du monde entier étaient invités à se mesurer avec la France. Toutes ces manifestations furent éclatantes ; elles servirent toutes la cause de l’art en nous apprenant, à connaître et à estimer davantage les efforts étrangers, elles ne démentirent pas l’opinion légitime que nous avions de notre supériorité.

Après 1900, d’un commun accord, il fut considéré que l’ère des Expositions universelles était close. Nul ne pensait évidemment qu’il fût, désormais, inutile ou superflu d’ouvrir des enquêtes sur la vie internationale chaque jour plus intense. Mais on jugeait qu’en raison même de cette intensité, il était temps de substituer aux exhibitions générales, cohues inorganiques, monstrueuses et inefficaces, des séries d’expositions d’un caractère spécial et déterminé.

L’art, semble-t-il, aurait dû immédiatement bénéficier de ces dispositions nouvelles. Pourtant nul ne parut se soucier en France de recommencer l’épreuve qui avait, si souvent, réussi. Les pays étrangers reprirent alors la mission que nous abandonnions. Gand, Munich, Rome, eurent tour à tour des expositions internationales d’art. Venise fit mieux : elle institua, d’une façon régulière, de deux en deux ans, des assises artistiques universelles.

La France cependant a-t-elle le droit de renoncer à exercer cette suprématie artistique que nul ne lui contestait naguère, que l’afflux, parmi nous, des artistes du monde entier continue à lui décerner ? Elle ne peut, sans déchoir, oublier qu’elle est encore, à l’heure présente, le centre artistique de l’univers. Une exposition universelle d’art ne peut avoir d’autre siège efficace que Paris.

C’est ce qu’a compris M. Dayot lorsqu’il a lancé l’idée d’une exposition internationale pour 1916. On connaît l’économie de son projet. Dans le Grand Palais, les nations seraient de nouveau invitées, comme elles le furent en 1900, à nous présenter le meilleur de leur production. La France y associerait les œuvres les plus caractéristiques de toutes les tendances par lesquelles s’avèrent la fécondité et la variété de notre génie : point de coterie exclusive, fût-elle formée par l’Institut, point de critérium que celui du talent. Une rétrospective analogue aux célèbres centennales de 1889 et de 1900, mais plus limitée, rappellerait la mémoire de ceux qui, après avoir honoré l’art, sont disparus au cours des vingt-cinq dernières années. Une place serait réservée pour les arts appliqués à la vie. Elle serait, sous une forme restreinte, un prélude à cette Exposition des Arts décoratifs modernes dont nous rêvions naguère l’ouverture en 1916 et qui, désormais, ne doit pas être escomptée avant 1920, si toutefois elle arrive à triompher des rivalités de tout ordre qui en paralysent la préparation.

Le projet de M. Dayot aurait dû rencontrer d’unanimes et d’enthousiastes adhésions. Il a paru contrarier des intérêts particuliers, et des protestations se sont élevées. La Société des Artistes Français et la Société Nationale des Beaux-Arts habituées à recevoir, pour leurs Salons, l’hospitalité gratuite du Grand Palais, n’ont pu supporter l’idée d’être privées, une seule année, d’une faveur qui a constamment manqué aux Artistes indépendants. Il est certain, cependant, qu’elles rencontreraient des concours universels, celui de l’État tout d’abord, pour installer leurs expositions dans un autre local. Quelque respectables, au reste, que soient leurs intérêts et personne ne songe à les sacrifier , il convient de les subordonner à la réalisation d’une œuvre dont la portée est générale. L’exposition d’art international attirera, à Paris, un concours exceptionnel d’étrangers. Par là, elle servira la cause de toutes les industries et de tout le commerce parisiens. Dans le domaine esthétique, elle aidera nos artistes à préciser leurs idées ; en enrichissant leurs conceptions, elle nous dégagera de la crise que nous traversons et provoquera une renaissance nouvelle.

Enfin, et c’est par ce côté, avant tout, qu’elle détermine notre sympathie, elle affirmera, une fois de plus, l’accord intime qui associe, sur tous les points du globe, les plus hautes aspirations de l’âme humaine. Elle éveillera des sentiments réciproques d’admiration et de sympathie, et sera, nous en sommes assurés, un instrument efficace de fraternité des peuples et de pacification internationale.