code_galerie Chroniques de l"Humanité, Site Léon Rosenthal

 

 

Léon Rosenthal, militant, critique et historien d'art

Art et Parlement, L’Humanité, « L’Actualité artistique », 30 juin 1914, p. 4.

Les questions d’art rencontrent, en ce moment, auprès des parlementaires une faveur inaccoutumée et cette sollicitude, si elle est quelquefois inquiétante est pourtant, somme toute, de nature à nous réjouir. Au Sénat, la discussion du budget des Beaux-Arts a servi de prétexte à de nouvelles attaques contre le Salon d’Automne. Une fois de plus, on a vilipendé des manifestations qui, assure-t-on, déshonorent l’art et compromettent la morale et l’on a sommé l’État de refuser désormais l’hospitalité qu’il accorde à ce foyer d’anarchie et de scandale dans le Grand Palais. Le ministre a répondu en plaidant les circonstances atténuantes et en invoquant surtout l’éclat des expositions rétrospectives ou étrangères organisées par le Salon d’Automne. C’est là une défense insuffisante. Il aurait dû dire qu’à l’heure actuelle, de toutes les grandes manifestations annuelles, la seule qui eût son intérêt véritable était ce Salon d’Automne tant discuté, qu’il ne pouvait y avoir innovation et vie si l’on voulait éviter tout hasard et que le véritable scandale venait de ceux qui, après s’être depuis un siècle opposés à tous les grands mouvements artistiques, continuaient, malgré le ridicule de leurs échecs successifs et la vanité de leurs ostracismes, à tenter cette œuvre insensée de barrer l’avenir.

À la Chambre, le Groupe d’art s’est reconstitué et, dans son bureau, deux des nôtres ont pris place : Sembat, comme vice-président, et Alexandre Blanc en qualité de secrétaire. Leur présence nous est doublement précieuse, et parce qu’ils feront certainement de bonne besogne et parce que leur présence est un démenti aux calomnies bourgeoises qui nous représentent volontiers comme étrangers au souci de l’idéal, sauvegardé, apparemment, d’une façon parfaite dans la société actuelle. Le groupe a mis à l’étude le projet d’exposition internationale que j’ai eu le plaisir d’exposer, hier, à nos lecteurs. Il a choisi comme rapporteur de la question M. Léon Bérard, qui est tout à fait acquis à l’idée émise par M. Dayot, idée dont nous pouvons donc, dès à présent, escompter le succès. Il examinera aussi le projet pour l’organisation de concerts populaires aux Tuileries, projet dont M. d’Harcourt s’est fait l’apôtre. Nous espérons qu’il travaillera à le faire promptement aboutir. Les raisons tirées des modifications d’aspect que recevrait la salle du Jeu de Paume, modifications fort peu sensibles et, d’ailleurs, en grande partie, masquées par les arbres, sont véritablement insuffisantes à paralyser une entreprise qui répond à une nécessité publique. Nous qui réclamons sans cesse des spectacles sains, et rêvons de faire accéder la foule aux joies de l’art, nous devons nous employer à hâter l’ouverture, à Paris, de la première salle populaire de musique.

D’autres questions appellent encore la sollicitude du Groupe d’art qui, s’il veut agir, ne manquera pas d’occasions de s’occuper : question de la donation Rodin, projet d’une contre-exposition des impressionnistes et de leurs successeurs à opposer à la prochaine exposition des membres de l’Institut, surveillance à exercer sur les constructions nouvelles à Paris pour préserver les aspects esthétiques de la ville, protection aux monuments historiques, civils et religieux. Un des problèmes les plus graves et les plus urgents est posé par les dissensions multiples qui paralysent la préparation de l’Exposition internationale des Arts décoratifs, dont Roblin avait été, naguère, le brillant rapporteur. Si le groupe parvient à ramener l’entente entre les artistes et les industriels, s’il parvient à faire disparaître heurts et froissements qui n’ont que trop duré, s’il met sur pied un programme raisonnable permettant de réaliser une manifestation où les étrangers auront leur place équitable et où nos efforts nationaux seront intégralement représentés, il aura accompli une action infiniment utile et nous espérons qu’il aura à cœur de s’y employer.