code_galerie Chroniques de l"Humanité, Site Léon Rosenthal

 

 

Léon Rosenthal, militant, critique et historien d'art

La statuette au Musée Galliera, L’Humanité, « L’Actualité artistique », 30 juin 1914, p. 4.

Une très importante exposition de la statuette et des meubles qui la présentent ou l’accompagnent est ouverte, publique et gratuite, jusqu’à fin octobre, au musée Galliera. Nous engageons nos lecteurs à la visiter. Nous regrettons pourtant qu’on y ait admis quelques meubles « de style », dont la présence est inattendue et fort désagréable. Nous regrettons surtout que l’on ait délibérément supprimé, sur tous les objets exposés, toute indication de sujet et d’auteur pour y substituer des numéros d’ordre, dont l’explication est donnée dans un catalogue qui coûte un franc et dont on a, sans doute, entendu ainsi imposer ou favoriser la vente. Cette disposition, fort peu démocratique, surprend dans une exposition ouverte dans un local municipal et qui vise à un objet éducatif : elle est contraire, à la fois, aux intérêts du public désorienté et au désir légitime des artistes de se faire connaître, discuter ou admirer. Il suffira sans doute de la signaler pour qu’on y porte remède ou, du moins, pour que l’on adopte, à l’avenir, un système plus libéral.

Le visiteur examinera d’abord quelques pièces anciennes que l’on a réunies d’une façon un peu arbitraire, qui ne peuvent en aucune manière résumer l’histoire de la statuette au XIXe siècle, mais qui sont fort intéressantes ou de premier ordre. Ce sont de superbes épreuves de Barye, des animaux de Cain, des groupes de Mène (1810-1879), un animalier pittoresque trop oublié, des œuvres de Barrias, Falguière, Dalou, un ensemble important des créations précieuses de Théodore Rivière, le Bonaparte de Gérome, des cavaliers de Meissonier. Ces témoignages, qu’il faudrait compléter par des visites au Louvre, au musée des Arts décoratifs et à Carnavalet, où l’on verrait les statuettes de Pradier, de Préault, de Maindron ou de Dantan, montrent la faveur persistante d’un art dont les applications sont infinies, puisqu’il peut décorer les intérieurs les plus restreints et n’est pas déplacé dans les palais publics.

Des tendances très opposées peuvent s’y manifester. Les uns veulent donner à la figurine une parfaite précision de silhouette et de détail et la cisèlent ou la taillent avec un soin minutieux. Les autres, au contraire, la traitent largement par des indications essentielles en lui donnant pourtant un aspect achevé ou en lui attribuant le caractère d’une ébauche. L’effet produit est plus varié encore que ne l’est la facture : tantôt c’est un bibelot, tantôt c’est une œuvre puissante, grandiose même. Les dimensions réelles de l’objet n’y sont pour rien. Telle statuette, qui a près d’un mètre de hauteur, est mesquine et mièvre, tandis qu’un bronze de Barye, qui est moins grand qu’un presse-papier, donne la sensation de l’envergure infinie du génie.

Les œuvres présentes appellent des impressions analogues, que je laisse au visiteur le soin de formuler. Ils rencontreront plus d’un morceau agréablement, habilement modelé, qui se laisse regarder, mais dont on sent qu’il bénéficie de l’indulgence acquise à une œuvrette sans prétention. Ils verront aussi des créations solides et qui, conçues pour leur dimension, ont le caractère complet d’une œuvre d’art véritable.

Quelques artistes n’aspirent qu’à plaire ; d’autres mettent dans les morceaux modestes une originalité plastique remarquable, ainsi MM. Dejean, Voulot, Halou, Marque, Bernard, Bourgoin, Landowski, Mme Serruys. Le maître Desbois y déploie sa souplesse sensuelle ; M. Max Blondat, son imagination gracieuse et fraîche, et M. Pierre Roche y inscrit ses pensées hautaines. Rodin y affirme son génie. Quelques animaliers continuent une tradition glorieuse. M. Navelier expose ses œuvres d’observation scrupuleuse et d’évidente vérité ; M. de Monard son remarquable vase aux vautours.

Il serait naturel que l’art pratiqué jadis par les coroplastes de Tanagra portât témoignage sur la vie contemporaine. La fantaisie y a, pourtant, plus souvent place que l’observation. À côté des Parisiennes de M. Dejean, voici les notations sincères et délicates de Mlle Thiollier. La Dentellière, que vous trouverez reproduite ici, enveloppe les formes et fait disparaître le détail pour donner un charme large à l’image. M. Gréber, par des méthodes toutes différentes, mais avec un succès pareil, a donné un aspect nerveux au portrait spirituellement campé du sculpteur Fremiet. M. Roger-Bloche, enfin, dans le Départ, a tenté l’entreprise, hasardeuse, de fixer, par le bronze, un petit drame contemporain, et il me semble que, par la discrétion du geste et la valeur plastique de l’œuvre, il est parvenu à éviter les écueils qui semblaient condamner son essai. Un minuscule et pimpant jardin d’hiver, dessiné par M. Bonnier, complète l’exposition de Galliera et contribuera à son succès.