code_galerie Chroniques de l"Humanité, Site Léon Rosenthal

 

 

Léon Rosenthal, militant, critique et historien d'art

Le Musée Carnavalet, L’Humanité, « L’Actualité artistique », 14 juillet 1914, p. 4.

De nouvelles salles viennent d’être inaugurées au Musée Carnavalet. Un historien perspicace [Paul Dupuy] les a examinées de près, et il m’écrit la lettre suivante :

 « Mon cher Rosenthal, vous irez sans doute à Carnavalet, pour rendre compte aux lecteurs de l’Humanité des aménagements nouveaux de ce musée. Je vous conseille d’examiner avec une attention particulière les étiquettes dues aux gardiens du musée, dont le directeur a loué la belle écriture dans un pompeux article du Temps. Malheureusement, la rédaction elle-même des étiquettes n’est pas de ces braves gens, et elle est souvent moins digne d’admiration. En voulez-vous des preuves ? [Suivent des exemples précis de cartels aux identifications erronées, concernant des œuvres de la période révolutionnaire]. Vous ferez donc bien, mon cher ami, de prévenir les lecteurs de l’Humanité, qu’ils aient à réserver leur confiance dans les étiquettes si bien écrites, mais si mal rédigées de Carnavalet, jusqu’à ce qu’une révision complète en ait été faite par des hommes réellement compétents. Je crois qu’il serait bon aussi de les mettre en garde contre une tendance visible à la recherche du sensationnel, qui dénote la même absence d’esprit critique que les erreurs des étiquettes. Carnavalet a exhibé naguère en belle place une cire représentant la tête de Robespierre blessé, qu’il a fallu retirer des vitrines lorsqu’on a su de quand elle datait et qui en était l’auteur. La plus rapide enquête préalable aurait suffi pour éviter ce ridicule et ce scandale. J’ai, pour ma part, la plus grande méfiance à l’égard de tout ce bric-à-brac du Temple, dont les différents objets auraient servi à Madame Elisabeth ou à la reine. Qu’ils aient appartenu à un conservateur des archives de l’ordre de Malte, qui logeait au Temple, et dont le petit-fils les a donnés à Carnavalet, je le veux bien ; mais où est la preuve qu’ils aient l’intérêt historique qu’on leur attribue ? Cette preuve est-elle faisable ? Il y a dix chances contre une pour que l’on se trouve ici en présence d’une légende, comme il s’en est tant créé dans les familles, après la Révolution. On peut n’y pas prendre garde chez Mme Tussaud ; qu’on n’y prenne pas garde dans le Musée historique de la Ville de Paris, cela est tout à fait inadmissible. Je ne vois pas d’inconvénient à ce qu’on dise ce que l’on veut aux gens du monde ou aux touristes Cook, dont il s’agit simplement d’amuser la curiosité. À ceux qu’il s’agit d’instruire, on ne doit rien offrir dont l’authenticité et l’exactitude ne soit prouvées et contrôlables. Cette méthode, qui vous paraîtra sans doute la bonne, ne semble pas en honneur à Carnavalet. Cordialement à vous. Paul Dupuy ».

Les observations si précieuses que formule M. Dupuy ne sont pas les seules que provoque une visite à Carnavalet. Tout d’abord, on s’étonne de l’absence de tout catalogue. Sans doute un certain nombre d’objets présentent des étiquettes. Mais les mentions que portent ces étiquettes sont, le plus souvent, très vagues. Parfois, d’ailleurs, elles sont illisibles ou hors de portée de la vue. Un trop grand nombre de pièces sont dépourvues de toute indication. Voici des vitrines de céramiques de toutes provenances, quel profit peut tirer de leur examen le visiteur que rien ne guide ? Voici, côte à côte, des vues de l’ancien Paris, les unes exécutées par des contemporains, les autres reconstituées par des archéologues. Rien n’avertit qu’il y a là des pièces de valeurs très différentes. Rien n’est fait pour faciliter le travail du visiteur de bonne volonté, on n’aperçoit aucune volonté éducative ; tout, au contraire, encourage la curiosité frivole ou superficielle. D’ailleurs, on ne semble s’être préoccupé que d’évoquer les plaisirs et le luxe. N’existe-t-il aucun document sur la vie laborieuse des siècles passés ? Alors que l’on encadre et que l’on exhibe tant d’estampes d’un intérêt secondaire, n’en a-t-on pas trouvé une seule qui rappelle les ateliers des imprimeurs ou les cris des marchands de la rue ? Si une des gravures de Bouchardon ou de Bosse auxquelles je fais allusion est exposée en quelque coin, je m’excuse de ne pas l’avoir aperçue ; en tout cas, on ne l’a pas mise en valeur. Depuis plusieurs années, M. Marcel Poëte organise à la Bibliothèque historique de la Ville de Paris des expositions méthodiques de l’histoire de Paris, expositions scrupuleusement préparées, accompagnées de catalogues remarquables qui sont distribués aux visiteurs. La direction de Carnavalet ne saurait-elle tirer profit de ce labeur et de cet exemple ? La seule ambition de Carnavalet paraît être d’offrir une suite de salles pimpantes distribuées avec goût pour la joie des mondains. Il y aurait toute chose à désirer. Ceci dit, qu’on n’imagine pas qu’une visite à Carnavalet soit inutile et sans intérêt instructifs. Il y a là trop de richesses pour qu’il soit indifférent de les examiner et nous y reviendrons quelque jour.