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Léon Rosenthal, militant, critique et historien d'art
Comment fait-on des fêtes ? s’écriait Michelet. Quelle vaine question. Comment fait-on un dogme civique et une religion ? Mais on ne le fait pas. Cela naît de soi-même. Un matin on s’éveille. Tout jaillit du cœur. C’est fait. Hier qui s’en serait douté ?
On sait avec quel éclat, quel enthousiasme généreux et naïf, fut célébré au Champ de Mars, le 14 juillet 1790, premier anniversaire de la prise de la Bastille, la fête de la Fédération Nationale ; journée unique dans laquelle les forces du passé et celles de l’avenir parurent, un instant, prêtes à collaborer, où l’on crût que la Révolution s’accomplirait par l’union de la Royauté, de l’Eglise et du Peuple.
Cette fête qui suscita tant d’espoirs suivis de si complètes déceptions, affirmait le besoin qu’éprouvait à ce moment toute la France de communier dans une foi et une allégresse fraternelles. Elle dut sa splendeur à cet accord spontané.
Elle avait été précédée de manifestations provinciales où ce sentiment s’était d’abord affirmé sous des formes plus restreintes.
En Bourgogne, par exemple, les délégués des gardes nationales, venus des quatre départements formant l’ancienne province de Bourgogne, se réunirent dans les journées du 14 au 16 mai, à Dijon. Le 17, les pouvoirs furent régulièrement vérifiés dans la grande salle du roi, où Guyton de Morvaux prononça un discours civique. Il y avait là 1822 délégués auxquels se joignirent les 3600 gardes dijonnais ; ils représentaient plus de 235 mille hommes en état de porter les armes. Ils élurent comme général de leur petite armée M. de Buffon, colonel de la garde nationale de Montbard.
Le 18, le rassemblement général se fit sur la route de Plombières. A neuf heures, le cortège se mit en marche, entra dans la ville par la porte Guillaume, fut reçu, place Saint Etienne, par les officiers municipaux qui l’accompagnèrent ensuite. On sortit de Dijon par la porte Saint Pierre. Par le cours du Parc, puis par la grande allée du Parc, on se rendit jusqu’au rond-point central, où un autel avait été dressé.
Cet autel était orné de médaillons peints en camaïeux par le directeur et fondateur de l’Ecole des beaux arts de Dijon, François Devosge. Il y avait représenté la Religion, la Philosophie, la Liberté, les Arts. Sur un baldaquin on lisait l’inscription : « à l’Être suprême ».
Après la messe, qui fut dite par l’abbé Volfius, le serment de fidélité à la Nation, la Loi, le Roi, fut solennellement prêté par les gardes confédérés. Le soir, un feu d’artifice clôtura cette belle journée.
Qu’offrait-elle d’extraordinaire ? Un défilé, un serment, un feu d’artifice, cela n’a rien, en soi, de surprenant ou d’imprévu. Mais la fête ne résidait pas dans telle ou telle disposition. Elle était dans la communion de ces hommes que soulevait un sentiment exaltant de solidarité.
« Les fêtes et les jeux publics, écrivait en l’an II Boissy d’Anglas, doivent accoutumer de bonne heure les hommes, par la jouissance des plaisirs communs, à faire participer les autres à leur félicité et à confondre toutes leurs affections et tous leurs sentiments dans le sentiment général, l’amour de la patrie, qui n’est autre chose que l’attachement de chacun a pour tous et la reconnaissance de celui que tous ont pour lui. »
C’est dire qu’on ne peut décréter des fêtes populaires. Celles-ci viennent du cœur du peuple, elles ne valent que par sa volonté enthousiaste.
Faut-il en conclure que les artistes n’ont pas à intervenir ? Non, sans doute, il leur appartient de magnifier ce sentiment, auquel il donne les occasions les plus belles de se déployer.
C’est ce qu’avait bien compris David, l’illustre organisateur de fêtes de la Révolution. « Les Fêtes nationales, disait-il, sont instituées pour le peuple : il convient donc qu’il y participe d’un commun accord et qu’il y joue le principal rôle. » Nous nous sommes souvenus de ces paroles dimanche, et nous trouverons sans doute des occasions prochaines et éclatantes de les méditer et de les appliquer.