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Léon Rosenthal, militant, critique et historien d'art
Des rues, des avenues se construisent de toutes parts. Des maisons d’un luxe tapageur remplacent d’anciens édifices dont les façades, si elles n’était pas belle étaient, du moins, plus modestes. Dans cette profusion, l’art véritable a peu de place. À côté des pastiches prétentieux, surchargés et lourds des styles anciens, se dressent des constructions où l’architecte a usé, certes, d’éléments nouveaux, mais où il n’a su apporter ni sobriété, ni convenance véritable. Consoles Louis XV, guirlandes Louis XVI, chardons et pommes de pin modern style se plaquent d’une façon à peu près semblable sur des façades dont les dispositions ont la même banalité et dont les proportions paraissent également avoir été laissées au hasard.
Parmi ces bâtisses indiscrètes aux allures insolentes de parvenues, il se rencontre fort heureusement quelques exceptions qui valent d’être signalées. Voici la façade d’une maison construite par M. Henri Tauzin, avenue du Trocadéro. On en remarquera la sobriété très étudiée. Les baies nues du rez-de-chaussée, le parti pris du bow-window, les balcons de pierre, le retrait des étages supérieurs, tout ici décèle une volonté dont on peut parfois discuter les intentions, mais qui marque l’édifice d’un caractère très personnel. La maison que MM. Sauvage et Sarazin ont élevée, rue Vavin, n’offre pas seulement, à notre attention, des détails originaux, un emploi systématique du ciment armé, des murailles revêtues totalement de carreaux de céramique blanche avec quelques notes de couleur, elle se présente comme l’affirmation d’une conception inédite et quasi-révolutionnaire. À la tradition constante des façades perpendiculaires, véritables murailles dans lesquelles les fenêtres apparaissent comme des trous quadrangulaires régulièrement superposés, MM. Sauvage et Sarazin ont substitué l’idée d’une série d’étages tous en retrait les uns par rapport aux autres. C’est tout le contraire des maisons à encorbellement du Moyen Âge, telles qu’on en voit encore dans les vieilles villes, à Rouen, par exemple, et dont les étages se chevauchaient, avançant progressivement sur la rue. Dans le système nouveau, chaque appartement s’ouvre sur un balcon et reçoit un maximum de lumière et d’air. Une rue construite de maisons semblables nous surprendrait et choquerait toutes nos habitudes reçues, mais certainement elle serait salubre et riante.
Nous engageons nos lecteurs à ne pas se contenter de notre image et à aller, rue Vavin, examiner la construction de MM. Sauvage et Sarazin. Qu’ils en soient enthousiasmés ou scandalisés, ils y reconnaîtront un remarquable effort pour renouveler un problème qui paraissait résolu depuis des siècles et que l’on ne songeait même plus à se poser.