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Léon Rosenthal, militant, critique et historien d'art
Au moment d’aborder l’étude du développement et de la répartition des espaces libres qui doivent former, selon un mot heureux, les poumons de la cité, une question préalable se pose à nous, qui est l’avenir même réservé à ces cités, que nous avons le dessein d’organiser.
Nous avons souligné, au début de ces entretiens, l’accroissement prodigieux des villes au cours de la période contemporaine. L’attention qu’elles exercent n’a pas diminué. En vain l’on dénonce les fléaux qui accompagnent l’excessive concentration des populations urbaines ; les travaux scientifiques, les recherches sociologiques, les associations ont beau condamner une congestion dangereuse à la fois pour la morale, pour l’hygiène, pour la natalité, pour l’avenir de la race, les villes ne cessent de se surpeupler. Elles se développent non seulement dans les régions où la prospérité est générale, mais dans celles où la population totale est stationnaire ; bien plus, dans celles-là mêmes où la population totale diminue, et l’on voit tel chef-lieu (Clermont-Ferrand) gagner, entre 1906 et 1911, sept mille habitant, tandis que le département dont il est la tête en a perdu neuf mille cinq cents. À n’interroger que les statistiques, il semblerait donc que la concentration ne soit ni arrêtée ni ralentie et l’on serait en droit de penser que, pendant longtemps encore, elle présidera à la répartition des populations hypnotisées par le mirage des cités. Certains signes, pourtant, des faits nouveaux, permettent d’augurer que cette ruée incessante aura une fin.
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Tout d’abord, depuis un petit nombre d’années, quelques industriels ont renoncé à établir leurs usines au milieu de grands centres pour les installer, à l’écart, dans des régions purement rurales. Les motifs auxquels ils ont obéi sont très complexes et l’on n’attend pas de moi que j’en entreprenne, ici, l’apologie ou la critique. Ils ont voulu assurer à leurs ouvriers une vie moins coûteuse et plus saine, intention philanthropique grâce à laquelle ils pouvaient espérer un rendement plus fort de machines humaines plus vigoureuses et qui leur permettait aussi d’enrayer la hausse des salaires. Ils ont pu, encore, espérer qu’arrachés à une ambiance pernicieuse, isolés des éléments extérieurs sur lesquels ils s’appuyaient, leurs ouvriers cesseraient de leur opposer une résistance qui leur était insupportable, et ils ont, peut-être, escompté la dissolution des syndicats.
Quel qu’ait été leur dessein et quel qu’en ait été le succès, le seul point qui nous occupe pour le moment est celui-ci : ils ont montré que la grande industrie n’était pas nécessairement liée aux villes immenses et ils ont pris l’initiative d’un mouvement susceptible de se propager. Le fait en lui-même serait d’ailleurs peu de choses s’il ne correspondait à un phénomène d’une importance capitale, je veux parler de la révolution qui s’est accomplie, dans la période la plus contemporaine, dans le système des moyens de transport et de communications. Chemins de fer, tramways, automobiles, d’une part, télégraphe et téléphone, d’autre part, ont métamorphosé les conditions dans lesquelles circulent les hommes, les choses et les pensées mêmes. Si l’on ajoute la découverte de la transmission de la force motrice à distance, on conclura sans peine que les raisons qui déterminaient, hier encore, les groupements humains se sont singulièrement transformées.
Il n’est plus nécessaire pour l’ouvrier ou pour l’employé d’habiter à proximité du chantier, de l’usine ou du magasin s’ils disposent de véhicules commodes, capables, pour un prix très modique, de leur faire parcourir rapidement quelques kilomètres. L’ingénieur, l’entrepreneur, l’administrateur, armés du téléphone et secondés par l’automobile, ne sont plus obligés d’établir leur foyer à côté de leur bureau. Les commerçants de la Cité de Londres ont déjà largement profité de ces facilités nouvelles. Ils ne sont pas les seuls. À Bruxelles, de 1890 à 1900, tandis que la ville proprement dite gagnait cinq mille habitants, les faubourgs en gagnaient plus de soixante-quinze mille : de tous côtés, dans un rayon de vingt kilomètres, s’élevaient des maisons d’employés, de petits rentiers, de contremaîtres. Il y a là un phénomène essentiel et l’on ne s’étonnera pas que des esprits hardis et sagaces aient, dès à présent, tenté d’en mesurer la portée.
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Wells, ce romancier à l’imagination audacieuse, l’auteur de La Guerre des Mondes, dont les lecteurs de l’Humanité ont suivi, récemment, les surprenantes péripéties, Wells ne se contente pas d’inventions chimériques. Il applique, à notre existence, ses facultés divinatrices et, dans un livre bien suggestif, qu’il intitule Anticipations, il s’est ingénié à reconnaître l’aspect prochain de nos cités.
Wells pose en principe que « la distribution de la population dans un pays est toujours en rapport direct avec ses facilités de transport ». Après avoir exposé l’état de nos moyens de transports actuels, les perfectionnements que l’on peut entrevoir dans un avenir peu éloigné, il en conclut que les raisons qui ont contraint les hommes à se presser dans des enceintes étroites sont, dès à présent, périmées. Nos villes sont donc voisines de leur maximum de saturation. Bientôt, un mouvement contraire se manifestera qui, peu à peu, s’accentuera et provoquera une révolution nouvelle : les villes essaimeront à travers les campagnes. Sur les bords des voies tentaculaires qui, de toutes parts, aboutissent à la cité, les habitations, les cottages s’établiront chaque jour plus nombreux. Au terme de l’évolution, lorsque la « diffusion » de la ville sera accomplie, la population urbaine actuelle sera répartie sur d’immenses espaces. Une ville capitale comme Paris, comme Londres, exercera sa vie sur un rayon de 20 kilomètres, de 30 peut-être, de 50, si la locomotion plus rapide le permet.
À ce moment, il n’y aura plus de villes et de campagnes telles que nous les connaissons aujourd’hui. Les différents groupes d’attraction arrivant à se toucher, les formes d’activité, actuellement dissociées, se rapprochant, agriculture et industrie occupant les mêmes familles, on verra l’interpénétration de la vie urbaine et de la vie rurale.
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Notre illustre camarade Vandervelde, dans un livre magistral, l’Exode rural et le retour aux champs, a repris ces idées. Il l’a fait avec la même ampleur de vues, en y ajoutant des précisions dues à la pratique des recherches sociales scientifiques ; il en a, de plus, dégagé la signification et l’enseignement au point de vue socialiste. Vandervelde remarque que les anticipations de Wells ont été pressenties par plusieurs socialistes ou prophètes du socialisme, par Pecqueur, Fourier, Robert Owen et aussi par Proudhon. Il contrôle ces intuitions par l’étude précise de quelques groupes urbains, particulièrement en Belgique. Les faits semblent concorder avec les hypothèses. « Dès à présent, il apparaît comme vraisemblable que les cités de l’avenir seront bien moins des centres d’habitation que des agglomérations de monuments, des lieux de réunion ou de travail, rendez-vous d’affaires, de plaisirs et d’études ».
La régression des villes sera-t-elle lente ou rapide ? Vandervelde indique quelques-unes des raisons qui pourront, au moins au début, entraver l’évolution. Pendant longtemps encore, l’attraction des villes continuera à s’exercer et elle retiendra ceux-là mêmes qui jouissent le moins de leurs plaisirs et sont le plus frappés par leurs tares. Durant une période de transition, la vie matérielle sera, d’ailleurs, plus difficile, moins variée, plus coûteuse, parfois, hors de la ville que dans l’intérieur des anciennes enceintes. Le déplacement heurtera des habitudes invétérées, il contrariera, d’ailleurs, des intérêts qui s’efforceront de l’entraver. Les commerçants tenteront de retenir leur clientèle avant de se résigner à la suivre. Les municipalités qui fondent leurs revenus sur l’octroi s’insurgeront contre l’exode, avant de s’ingénier à découvrir des ressources nouvelles. Les politiciens d’arrondissement verront avec déplaisir le déplacement des masses électorales, capable au reste, de réjouir les élu d’une circonscription voisine.
Au point de vue socialiste, l’évacuation des villes ne pourrait avoir qu’un inconvénient, grave il est vrai. Dans ces villes, accusées de tant de crimes, dans ces villes convaincues d’avoir ruiné la morale et l’hygiène, les hommes, en réalité, ont acquis plus d’une vertu. Le sentiment de la solidarité, étouffé par l’isolement égoïste des campagnes, s’est développé dans l’intimité, dans la promiscuité, si l’on veut, des quartiers ouvriers. L’élan révolutionnaire qui, jadis, anima les bourgeois des communes libres derrière leurs remparts, a soulevé le peuple des ruelles et des faubourgs. Solidarité, esprit révolutionnaire, fruits de la civilisation urbaine, seront-ils atténués par la diffusion des villes ? Vandervelde ne le pense pas. L’isolement aux heures de repos ne détruira la vie commune ni dans le travail, ni dans l’étude, ni dans la défense des intérêts communs et, d’autre part, il faudra, pour organiser la vie nouvelle, créer tant de rouages, que l’esprit d’initiative et d’action solidaire s’en verra nécessairement accru.
Les socialistes auraient, en définitive, tort de s’effrayer d’une évolution qu’il n’est pas en leur pouvoir d’enrayer. Ils peuvent, au contraire, en escompter des bénéfices et, eux seuls, ils sont capables de la diriger, pour qu’elle s’accomplisse sans à-coups et ne porte que des fruits bienfaisants. Vandervelde l’affirme en traçant un programme dont nous n’oublierons pas les termes dans nos prochains entretiens. « Ce n’est, dit-il, que par une politique résolument socialiste, s’attachant à la fois aux moyens de transport et aux moyens d’habitation, que l’on verra définitivement disparaître du centre des villes les ruelles immondes, les impasses ténébreuses, tandis que dans les faubourgs et les banlieues, l’initiative municipale fera surgir des logements spacieux où les travailleurs auront en abondance l’air, la lumière, la chaleur, l’eau pure, qui sont indispensables à la plante humaine pour croître, s’épanouir et fructifier normalement ».
En post-scriptum : « Le musée de Versailles sera partiellement rouvert à partir du 1er mai, la galerie des Batailles sera visible les mercredis et dimanches, de 13 à 17 heures […]. Une exposition d’œuvres des artistes tués à l’ennemi, blessés, prisonniers ou mobilisés se tiendra, en mai, salle du Jeu de Paume, aux Tuileries, au profit de la Caisse de la Fraternité des artistes. Le musée du Luxembourg est maintenant rouvert. Le public se presse dans les salles, où quelques œuvres choisies affirment l’intensité de l’art belge contemporain, sa variété, sa richesse et, surtout, son caractère profondément humain. Les œuvres de l’artiste américain Brangwyn, maître aquafortiste, peintre original et ami de la France, jouissent d’une faveur méritée. Elles décorent une grande salle, où l’on admire aussi Ève, Saint Jean-Baptiste, le Baiser, quelques-unes des œuvres les plus puissantes et les plus célèbres de Rodin ».