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Léon Rosenthal, militant, critique et historien d'art
L’îlot anglais, s’il venait à se généraliser, n’assurerait pas seulement à tous, gaieté, santé et lumière ; il permettrait aux enfants de vivre presque constamment au grand air et de prendre leurs ébats sous la surveillance directe de leurs mères. Nous sommes fort éloignés de cet idéal et le soin d’assurer les jeux de l’enfance est, presque partout, laissé au hasard. Il suffit, pour s’en convaincre, de parcourir Paris, un beau jour de printemps ou d’été. Sur les places, petites ou grandes, places macadamisées, brûlées par le soleil, malgré l’abri inefficace d’arbres souffreteux, vous voyez les mamans assises près des voiturettes de leurs bébés. Ceux-ci sont condamnés à l’immobilité ou ne peuvent faire quatre pas sans être l’objet de mille inquiétudes. Les quartiers ouvriers ne vous donnent pas, seuls, ce spectacle et, sur les grands boulevards mêmes, ce sont des familles bourgeoises qui, devant le théâtre du Gymnase, promènent leurs enfants dans des conditions dérisoires.
Favorisés, ceux qui habitent à proximité d’un square de desserrement. La faveur, au reste, est médiocre. Les enfants qui grouillent dans des allées trop étroites où l’espace leur manque, où il leur est quasi impossible de jouer réellement, ne sont pas là, nous le savons, dans une atmosphère beaucoup plus saine que dans la rue voisine dont les poussières, les exhalaisons et les bruits leur sont presque intégralement transmis.
Restent enfin les vrais privilégiés, c’est-à-dire les habitués des grands jardins. Ceux-là peuvent véritablement s’ébattre et respirer l’air sain à pleins poumons. Dois-je avouer que leur sort, pour enviable qu’il paraisse, ne me paraît pas parfait ? On songera à certains parcs magnifiques, créés jadis pour des rois ou pour des princes et l’on me trouvera bien difficile. Mais, précisément, ces parcs ont été faits pour des princes et non pas pour des bébés. Les tout petits y sont confondus avec leurs grands frères qui courent, s’évertuent, sont turbulents et ont raison de l’être et menacent constamment de les piétiner ou de les bousculer tout au moins. Dans les mêmes allées, circulent des promeneurs plus paisibles, mais qui peuvent être distraits et ne songent pas toujours à se détourner pour éviter d’écraser une menotte qui manie une pelle ou pour ne pas renverser un bambin qui a éprouvé le besoin de se jeter dans leurs jambes.
De là, la nécessité d’une surveillance constante. Quelques mères l’assurent elles-mêmes et y consument leur journée ; d’autres délèguent des domestiques et l’on voit presque autant de femmes, mères ou bonnes, que d’enfants ; ce qui, par parenthèse, est un effroyable gaspillage de forces sociales. Mais les mères qui sont retenues par leur travail, celles qui n’ont ni le loisir ni les ressources pour salarier une remplaçante, parce qu’elles sont salariées elles-mêmes, celles-là sont obligées de renoncer pour leurs petits au beau jardin. Et pourtant, ne sont-ce pas les enfants du peuple qui auraient le plus besoin des longues séances de plein air ? Le beau jardin y gagne un aspect plus aristocratique : j’aime à croire que cette considération ne nous touche guère !
Ce qu’il faudrait, ce seraient des emplacements exclusivement réservés aux bébés et à leurs mères. La surveillance y serait plus aisée et une seule femme y pourrait garder aisément un groupe d’enfants. Cette surveillance, d’ailleurs, pourrait être organisée par un personnel municipal rattaché à celui des crèches et des écoles maternelles ou indépendant. On offrirait, enfin, aux petits du beau sable frais qu’ils pourraient tripoter sans danger, tandis qu’à l’heure actuelle, les rejetons mêmes des millionnaires jouent avec du sable mouillé par des détritus de toute sorte et par les crachats des passants, lesquels, apparemment, ne sont pas tous parfaitement sains.
Je ne demande rien ici d’impossible ; des organisations de cet ordre existent déjà, mais non pas en France. On pourrait installer ces jardins d’enfants soit dans les grands jardins, soit dans les squares de desserrement, soit dans des emplacements spéciaux. L’essentiel serait qu’ils fussent systématiquement répartis et suffisamment proches les uns des autres, pour que tous les petits, sans exception, puissent quotidiennement en profiter. Pour fixer un chiffre, on a demandé qu’il n’y eût pas entre eux plus d’un kilomètre de distance, ce qui n’imposerait que dix minutes de marche aux mamans les plus éloignées. J’inclinerais à penser que c’est trop encore, mais je ne chicanerai pas sur quelques mètres et me réjouirai si, dans les plans d’aménagement des villes à reconstruire, ces principes, tout au moins, étaient admis.
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Du sable pour les tout petits, des terrains de jeux pour les adolescents et pour les adultes. On les réclame de toutes parts. Si Kleinhoff était parmi nous, c’est à lui qu’il appartiendrait de traiter une question qui est de son domaine ; en son absence, je suis bien sûr d’être d’accord avec lui, en affirmant qu’il y a fort à faire. Les Américains, sur ce point, nous donnent des exemples impressionnants. Depuis quelques années, ils se sont convaincu que la pratique des sports n’était pas seulement pour les jeunes gens un élément essentiel de santé, de force, de bien-être, mais qu’elle développait aussi la valeur morale. Les sports, qui écartent la jeunesse d’autres distractions moins recommandables ou qui l’arrachent au désœuvrement pendant les loisirs, stimulent l’énergie, la maîtrise sur soi-même, l’esprit d’initiative et aussi de solidarité.
Persuadés de ces vérités, les Américains sont entrés immédiatement dans la voie des réalisations. Des villes ont pris à leur charge l’aménagement et l’entretien de terrains de jeux : elles étaient 90 en 1907, 177 en 1908, 336 en 1909. Dès 1907, se fondait une association américaine pour l’aménagement des terrains de jeux. Partout, d’ailleurs, les pouvoirs publics ont combiné leur action avec celle des sociétés sportives.
L’expérience a montré aux Américains que les aménagements les plus perfectionnés étaient insuffisants si le terrain de jeux n’était soumis à la direction d’un homme expérimenté capable d’entraîner les jeunes gens et de coordonner leurs efforts. Ils en sont arrivés à considérer comme essentielle la création d’un directeur : « Un directeur sportif sur un terrain nu vaut mieux, assurent-ils, qu’un terrain bien aménagé sans directeur ». Je livre cet avis, appuyé sur l’expérience, aux méditations de nos sociétés pour le jour où les municipalités françaises voudront rivaliser avec celles des États-Unis. Comme les jardins d’enfants, les terrains de jeux devraient être équitablement répartis. Ils n’auraient pas besoin d’être aussi rapprochés, mais il conviendrait néanmoins que les jeunes gens puissent y accéder sans fatigue et qu’ils puissent aussi y faire de fréquentes séances d’entraînement, les jours mêmes où ils ne disposeraient que d’une ou deux heures de liberté.
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Après avoir satisfait les enfants et les jeunes gens, il faut, enfin, songer aux hommes faits et aux familles. Ici, les vastes programmes se présentent à nous et les municipalités qui voient grand peuvent trouver, sur ce point, occasion ample de le manifester. Les citadins demandent à trouver, aux portes mêmes de la ville, de vastes promenades où ils oublieront, par enchantement, l’atmosphère dans laquelle ils vivent quotidiennement plongés. Ils veulent prendre un bain de nature. Les aspects simples de la campagne ne leur suffisent, au reste, pas. Il faut qu’on leur suggère, tour à tour, les perspectives infinies des plaines, la majesté des grands bois, les désordres de la montagne, le calme des lacs et la violence des cascades. Au jardinier paysagiste de leur fournir toutes ces sensations en un raccourci qui ne risque jamais de leur paraître surchargé.
Au surplus, ne raillons pas cette avidité. Elle est bienfaisante : elle rafraîchit des êtres que la vie quotidienne étiole en quelques heures, ils font provision de santé et de beauté. Que les municipalités n’épargnent donc rien pour répondre à un besoin si respectable. Qu’elles entretiennent et améliorent les parcs anciens dont elles ont reçu l’héritage ; qu’elles acquièrent des terrains nouveaux et s’ingénient à les aménager. Des métamorphoses véritables seront opérées par les jardiniers et les architectes ; l’eau abondamment amenée, ingénieusement distribuée, dispensera, comme elle fait toujours, la vie, la gaieté et l’apaisement. Ici encore, on procèdera avec équité. Un quartier ne sera pas favorisé seul et, surtout si la ville est un peu considérable, on ne la verra pas, les jours de fête, se porter d’un seul côté. C’est une des préoccupations les plus inattaquables d’Haussmann d’avoir voulu que les Parisiens fussent, de toute part, sollicités. Au Bois de Boulogne, qu’il fit agrandir et aménager et qu’il essaya de rendre intangible, au Bois de Vincennes qui fut complètement transformé, il ajouta les Buttes Chaumont et le Parc de Montsouris, qui furent créés de toutes pièces.
Cet exemple mérite d’être partout imité. Nulle part, les municipalités ne feront œuvre inutile en multipliant et en améliorant les promenades. Mais il est possible de faire davantage et, de nouveau, en ce point, des vues systématiques doivent intervenir. D’une part, les promenades doivent être reliées au centre des villes par de larges avenues qui en prolongent l’effet bienfaisant, avenues qui, réservées aux piétons et aux voitures légères, sont d’un entretien facile et peuvent offrir les dispositions les plus variées. D’autre part, les différentes promenades doivent être réunies entre elles par d’autres avenues qui constituent, autour de la ville, un cercle ininterrompu. Ce cercle confère aux abords de la ville, si souvent misérables, un caractère harmonieux. Si la ville est destinée à s’agrandir ou si, dès à présent, elle est pressée par une banlieue dense, le cercle joue le rôle d’un périmètre de protection. Cette protection, dans les villes fortifiées, est assurée par la zone des remparts. Murailles, fossés, glacis, zone militaire, insuffisants contre les armes modernes, défendent tout au moins l’hygiène de la cité. Il ne faut pas l’oublier quand on les déclasse et il faut savoir protéger leur emplacement contre les spéculateurs. Ils se prêtent, d’ailleurs, admirablement à des aménagements pittoresques : les bastions deviennent des collines et les fossés, qu’il faudrait se garder de combler totalement, favorisent la création de pièces d’eau.
Le cercle est d’application universelle. Quelques villes placées dans une situation pittoresque, entourées de collines qui les dominent, soit partiellement, soit d’une façon totale, tireront un heureux parti de cet avantage en traçant des avenues-promenades qui circuleront à travers les collines et ouvriront des perspectives infiniment variées sur la ville et sur son cadre naturel. Les Italiens ont, en ce genre, créé, autour de Florence, une avenue, la Viale dei Colli, qui offre des points de vue incomparables.
En post-scriptum : « J’ai reçu, d’un bon sculpteur, une lettre où, sans protester contre l’exposition prochaine des œuvres des mobilisés vivants ou morts, il réclame en faveur des artistes que leur âge ou les circonstances éloignent des armées et qui demandent à vivre de leur art. Je m’associe pleinement à sa réclamation. Je ne vois aucune raison valable pour supprimer, cette année, les Salons. Des expositions s’ouvrent de toute part et il y aurait réconfort moral pour tous et intérêt direct pour les artistes à maintenir le Salon annuel. Il y eut un Salon en 1793 ».