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Léon Rosenthal, militant, critique et historien d'art
Nous vivons dans une époque singulière. Chacun de nous sent le besoin de développer des institutions sociales. La liberté, nous le comprenons, ne réside pas dans des textes de lois ; elle naît, se développe, s’organise, par l’activité solidaire des citoyens. Il faut que les partis politiques se constituent solidement pour que la vie politique du pays soit à l’abri des aventures et des à-coups. Il faut que des associations de toutes sortes sportives, éducatives, musicales, scientifiques, se multiplient pour augmenter la valeur de chacun et la prospérité générale. Patronages laïques, scolaires et postscolaires, causeries, conférences populaires ou savantes réclament notre appui. Syndicats ouvriers, ateliers et cours de préapprentissage aspirent à se développer.
Tout cela, nous le savons parfaitement. Mais, si l’on nous demande où nous installons cours, patronages, bureaux ouvriers, nous voilà bien embarrassés. Le groupe socialiste se réunit, le plus souvent, dans l’arrière-boutique d’un marchand de vins. Il peut se consoler par la pensée que le groupe radical-socialiste est logé à la même enseigne et que le groupe libéral n’est pas mieux partagé. Cours, conférences, patronages, escomptent l’hospitalité de la mairie ou d’une école primaire. Quand des hommes de bonne volonté se réunissent, leur espoir suprême est d’obtenir un coin de l’hôtel de ville, une salle de classe ou un préau. Ils y sont très mal, d’une façon précaire, incommode, gênés et, d’ailleurs, gênants. L’hôtel de ville, en principe, c’est la maison commune. Mais ce doit être, aussi, un endroit où l’on travaille. Des bureaux y sont installés, assez mal, j’en conviens. Ce n’est pas une raison pour les dépouiller d’une partie des locaux. L’activité municipale a besoin de se déployer à son aise. Trop d’animation étrangère y peut créer du désordre.
Dans les cas les plus favorables, il n’y a pas de place pour tout le monde. L’hospitalité n’y est pas un droit ; elle peut se refuser, pour des raisons excellentes, pour de mauvaises aussi. Enfin, si les discordes locales sont un peu vives, il est des groupes qui hésitent à solliciter, ou qui, même acceptés, se trouvent mal à leur aise. L’école primaire, oh ! pour elle, mon avis est simple : on l’utilise beaucoup trop pour des fins qui ne sont pas les siennes. Je pourrai ajouter, sans craindre d’être contredit, que l’on traite les instituteurs comme leurs écoles.
Je rougis lorsque je vois, à Paris même, les réunions publiques se tenir dans les préaux. Pense-t-on que l’entassement de plusieurs centaines d’individus soit propice au bon entretien, à l’hygiène des locaux où grandit une enfance fragile ? Non, l’école n’est ni une salle de réunions électorales, ni une salle de conférences, ni un siège social pour orphéons. Elle est l’École, organisme essentiel et qui devrait être sacré. On respecte collèges et lycées fréquentés par les fils de la bourgeoisie. Pourquoi ce respect ne s’étendrait-il pas aux établissements destinés aux enfants du peuple ? L’absence de locaux convenables, la difficulté de s’abriter ont les répercussions les plus fâcheuses. Tel groupe végète et s’éteint, tel autre ne parvient pas à se constituer. Des citoyens sentent la nécessité d’une propagande sociale, industrielle ou scientifique, ils voudraient organiser des fêtes, mais ils ne l’entreprennent pas, faute d’un local approprié.
À d’autres époques, on ne l’entendait pas ainsi. Les Grecs et les Romains avaient, pour leur vie politique, d’amples agoras ou des forums grandioses. Le Moyen Âge édifia, pour les prières communes, les cathédrales, expression d’une foi exaltée et d’une vie sociale intense. Nous, nous n’avons pas su créer, encore, des organismes de liberté, et c’est pourquoi j’ai réclamé des salles de réunion dans toutes nos communes.
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Une salle de réunion, c’est, évidemment, un minimum et l’on comprend tout le développement qui peut se produire autour de ce désir. À l’heure actuelle, une propagande est faite avec beaucoup d’ardeur et de ténacité par un Français qui a vécu aux Etats-Unis ; y a vu fonctionner des institutions admirables et voudrait les implanter parmi nous. M. Henri Oger a étudié les établissements que les Américains appellent simplement des bibliothèques et qu’il dénomme, lui, d’un terme plus expressif et plus juste, des maisons de vie sociale. Au cœur de la cité grande ou petite, s’élève un édifice construit, le plus souvent, aux frais d’un généreux donateur, mais qui est entretenu par une taxe spéciale prévue dans le budget municipal. Cet édifice est perpétuellement ouvert : il présente une piscine, une vaste salle de conférences ou, comme on dit là-bas, d’un terme qui commence à se répandre en France, un auditorium, des salles où les sociétés politiques, sociales, sportives reçoivent l’hospitalité, une bibliothèque abondamment pourvue de revues, de journaux de toutes opinions, d’ouvrages techniques, mis librement à la disposition des lecteurs, une bibliothèque spéciale pour les enfants, des salles de causerie ou de repos, un musée. Sous la surveillance d’un comité local qui administre l’œuvre, des éducateurs sociaux ou des éducatrices, largement rétribués, consacrent leur temps à donner des indications, des conseils aux visiteurs, font des causeries aux enfants dont ils développent la curiosité et éveillent les vocations. La maison de vie sociale est ouverte d’une façon permanente et, à toute heure du jour, elle est fréquentée.
Quand la cité est considérable, autour de la maison mère, d’autres maisons étendent, l’influence de l’œuvre dans tous les quartiers. Au besoin, là où l’on ne peut pas construire, on loue une boutique, ou bien encore on installe un dépôt de livres chez un commerçant affilié. Telle est l’institution que M. Oger s’est donné à tâche de nous faire connaître et qu’il voudrait transporter chez nous. Il a formé, dans ce dessein, une « alliance d’éducation civique et sociale » et constitué des comités de patronage, de propagande et d’action auxquels plusieurs camarades du Parti ou de la CGT ont, déjà, adhéré.
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Il ne m’appartient pas d’examiner, ici, les influences civiques que pourrait avoir la diffusion, en France, de la maison de vie sociale et les conséquences multiples d’une idée si féconde. Pas davantage, il ne m’appartient d’étudier les modalités diverses que l’institution pourrait revêtir pour s’adapter plus intimement à nos mœurs et aussi pour répondre aux exigences variées de chaque région. D’autres le feront, je l’espère, dans ce journal, de façon à faire naître la conviction chez les plus sceptiques. Pour moi, sans réduire mon rôle à préparer du travail pour les architectes, c’est, pourtant, le point de vue artistique que je dois envisager. Même à ce point de vue, je ne me hasarderai pas, immédiatement, à former des hypothèses sur l’aspect que devront prendre en France des édifices dont la fonction doit, d’abord, être très nettement précisée. Je me contenterai d’indiquer ce qui a été fait en Amérique.
J’ai pu examiner les plans et les photographies des façades, de plusieurs maisons de vie sociale américaines. Cet examen est suggestif et encourageant. Tous les plans que j’ai observés se ressemblent dans leurs traits essentiels parce qu’ils répondent à des programmes semblables ou analogues et parce que les architectes se sont plus attachés à trouver des dispositions pratiques qu’à faire briller leur originalité. Les façades ont également entre elles un air de famille, parce qu’elles correspondent à des édifices tous quadrangulaires et qu’aucune d’elles n’est une fausse façade, création postiche sans lien avec la structure interne du monument, destinée uniquement à satisfaire la vanité de l’architecte et celle de ses clients. Ce sont d’honnêtes façades, qui ne sont plaquées ni de colonnades, ni de frontons, ni de pilastres, dont la décoration est extrêmement sobre et qui tirent leur caractère, essentiel des grandes baies qui y ont été multipliées pour répandre abondamment la lumière à l’intérieur.
Pourtant aucune de ces façades ne ressemble exactement aux autres. Il en est d’imposantes par leurs dimensions, par la nature des matériaux ou encore par l’esprit de leurs lignes. Il en est de riantes, il en est de modestes. Aucune, je le répète, n’étale de fausses richesses, ni de mauvais goût. Une pensée directrice unique les anime toutes, et, pourtant, cette pensée unique trouve pour s’exprimer des formules variées. Cette unité de conception et cette diversité de réalisation, c’est, précisément, ce qui marque un art vivant et un style. Nous admirons ce double caractère dans les temples grecs comme dans les églises gothiques. Une grande et unanime volonté animait les périodes qui les virent naître. Pourquoi la foi sociale ne serait pas le ferment capable de vivifier l’art hésitant de notre temps ? La maison de vie sociale deviendrait, alors, le plus bel édifice de la commune, témoignage, au sortir de la tourmente, de convictions profondes et de confiance en l’avenir.
J’ai vu aussi des photographies reproduisant les dispositions intérieures des principaux services de la maison américaine. Tout y est conçu selon l’esprit le plus pratique. Les meubles sont à la fois très commodes, solides, en plein bois et dépourvus de toute parure superflue. Ceux qui fréquentent ces édifices y apprennent certainement l’ordre, le soin. Ils y apprennent aussi à distinguer l’art du luxe et à dédaigner le clinquant au prix de la véritable beauté.
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Nous avons poursuivi le tracé du plan de la ville en y déterminant le réseau des rues, des carrefours et des places, en y répartissant les espaces libres, en essayant d’assurer, par une disposition logique des édifices, l’épanouissement de la vie collective. Pour accomplir ce travail, nous nous sommes pénétrés de la pensée qu’une collaboration unanime était nécessaire. Tous doivent participer à l’œuvre dont tous doivent bénéficier. Les municipalités coordonnent les vœux des citoyens et les architectes urbanistes accomplissent leur œuvre d’art selon les programmes qui leur sont dictés.
Sur ce plan harmonieux, nous voudrions, à présent, savoir comment s’élèveront édifices publics et particuliers. Mais, avant d’aborder l’examen des problèmes suscités par les reconstructions, un autre soin nous réclame. Notre plan n’est pas achevé. Nous l’avons conduit jusqu’aux limites de la cité, et la cité, nous le savons, n’est pas enfermée tout entière dans son enceinte. Il faut qu’elle élargisse son horizon pour son bien actuel et pour assurer l’avenir. Au plan d’aménagement, s’associe un plan d’extension dont l’étude constituera l’étape nouvelle de notre enquête.
En post-scriptum : « Un projet ridicule a couru la Presse : il s’agissait de préparer un modèle unique de monument commémoratif des victimes de la guerre, modèle qui aurait été exécuté en diverses dimensions dans toutes les communes de France. Beaucoup ont cru d’abord à une plaisanterie assurément déplacée. Il a fallu reconnaître que l’idée avait été sérieusement conçue. Elle témoigne des excès absurdes auxquels peuvent conduire la manie de centralisation à outrance et la déflation des initiatives ».