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Léon Rosenthal, militant, critique et historien d'art
Nous nous sommes adressés à la fois aux municipalités et aux architectes. Aux municipalités, nous avons demandé d’établir des programmes très complets et très précis, de savoir exactement ce qu’elles désirent et de le dire, puis, de collaborer, de la façon la plus étroite, avec les architectes. Nous avons prié les architectes d’éviter la banalité, de ne pas transporter, partout, le même plan type insipide. Nous les avons invités, pour donner à leur conception du caractère, de s’inspirer de l’air du pays, du génie de la région où leurs talents auront à s’exercer. Nous avons, d’ailleurs, essayé de préciser la signification de ce conseil ; nous les avons mis en garde contre tout pastiche littéral et tout placage pittoresque superficiel. Ils répondront aux vœux de la Fédération régionaliste française et, si je ne m’abuse, seront d’accord avec la raison, s’ils appliquent librement la tradition, expression d’usages, de besoins, de conditions locales séculaires, aux exigences de la vie présente.
C’est là, il ne faut pas le dissimuler, leur proposer un travail d’élaboration délicat, et il est plus aisé de copier tel mascaron de pierre, tel balcon de fer forgé ou telle cheminée qui ornent un bel hôtel ancien que de scruter la façon dont la pierre ou le fer ont été utilisés et traités, les raisons qui ont entraîné des aménagements typiques, et profiter, ensuite, des indications ainsi recueillies pour tenter une œuvre personnelle. Mais c’est à ce prix seul que l’on fera un travail durable et, pour me servir d’une image qui, je l’espère, sera comprise par tous, il faut que les monuments nouveaux ressemblent aux anciens comme ces enfants qui ressemblent à leur père d’une façon frappante, bien qu’aucun de leurs traits pris séparément ne soit la reproduction exacte d’un des traits paternels.
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Nous insisterons ensuite auprès des architectes… Mais j’entends une voix prudente qui m’interrompt et me dit : « Ne soyez pas trop exigeant ; songez qu’après la guerre, dans les conditions les plus favorables, l’argent sera rare et nos ressources seront très limitées. Il y aura tant à faire ! Ne nous proposez pas des conditions irréalisables. Songez qu’avant toute chose, il faudra, en assurant le nécessaire, procéder avec économie ». Et moi de répondre : « Pauvreté heureuse, misère bénie si, par elle, nous sommes préservés de tant de laideurs qu’ont engendrées le faste et l’étalage d’une fausse richesse ! »
Nous insisterons donc auprès des artistes pour qu’ils ménagent nos ressources et ne fassent rien que de nécessaire. Ils renonceront à couronner leurs édifices de dômes ambitieux, masses prétentieuses et raides qui affligent le regard, boursouflures sans utilité pratique, sans utilisation possible. Trop coûteux, les fronts arrondis ou triangulaires, les avant-corps imaginés sans nécessité pour avoir l’occasion de placer quelques colonnes pseudo-antiques. Hors de prix les pilastres, les demi-colonnes mêmes et les entablements, les consoles, les rosaces, tout ce placage auquel s’amuse un architecte oublieux des conditions essentielles de son art. Plus de niches multipliées sans autre nécessité que de préparer des commandes aux sculpteurs. Un chef-d’œuvre y serait perdu et ce ne sont pas ordinairement des chefs-d’œuvre qui s’y abritent. L’architecte essaiera de réaliser la beauté lui-même, sans se masque derrière un placage de statuaire.
Il faudra encore nous priver de vestibules disproportionnés, préambules qui n’annoncent rien, préfaces après lesquelles tout paraît exigu et mesquin, morceaux de bravoure que l’architecte dévoyé consacre à sa seule gloire. Nous perdrons aussi les escaliers monumentaux dont le rôle principal est également de faire triompher le génie de l’artiste, si bien que l’on surélève tout un édifice, comme on l’a fait au Petit Palais, que l’on transforme le rez-de-chaussée en quasi sous-sol et que l’on crée des locaux d’accès malaisé et d’usage difficile, pour la plus grande beauté d’un escalier et d’un vestibule.
Nous nous verrons encore contraints, sans en éprouver, je l’avoue, une grande douleur, de retrancher sur cette parure exubérante de décoration plaquée, dont l’architecte croit trop souvent nécessaire de revêtir son édifice, après l’avoir achevé, comme s’il éprouvait quelque honte à le montrer nu. Toute cette pâtisserie, pour me servir d’un sobriquet bien connu des artistes, sans aucune utilité, le plus souvent sans convenance véritable, hors d’échelle, c’est-à-dire sans rapport de proportions avec l’ensemble qu’elle prétend décorer, sonne le faux luxe et le goût de parvenu. Notez bien que je ne fais pas, sur ce chapitre, de distinction, et, si je condamne absolument toute ornementation littéralement copiée des styles anciens, ma prédilection pour l’art de notre temps ne va pas jusqu’à justifier toute cette floraison parasite, ces vignes, ces branches de pins, ces marronniers qui, sous prétexte d’art nouveau, ont envahi tant de façades qui avaient grand besoin d’être émondées. Une décoration saine, sobre, destinée à souligner les membres de la construction, à mettre en valeur les parties essentielles, sur lesquelles, à bon escient, l’architecte veut attirer notre attention, cette décoration-là ne nous ruinera point et, au lieu de fatiguer la vue, elle sera, pour le regard, une jouissance véritable.
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Je continue à désoler les architectes. Je leur ai retranché le luxe sur lequel ils comptaient pour briller, et, à présent, après les avoir sevrés de dômes, de façades imposantes, de vestibules, d’escaliers d’honneur, de décoration riche, je vais réclamer d’eux qu’ils s’abstiennent de matériaux rares et précieux. Je les vois consternés. Quoi ! Pas de marbres italiens ou tout au moins pyrénéens, pas même de pierre de Volvic ? Non, sinon dans la région pyrénéenne pour le marbre, ou en Auvergne pour les laves polies.
Nous aurons peu d’argent, je vous le répète ; et nous n’engloutirons pas de grandes sommes à faire venir de loin des matériaux exceptionnels, alors qu’il n’est pas un pays en France qui n’ait sur place les éléments utilisables pour ses constructions. De plus, il convient aussi de ne pas l’oublier, la main-d’œuvre sera rare ; de toute façon, il y aura lieu d’utiliser les travailleurs de la région même, et, ceux-là ne savent tailler ni le marbre ni la pierre de Volvic, mais ils ont la pratique des matériaux du pays.
Pour consoler les architectes, je leur concède, je leur conseille même, partout, l’usage du fer et celui du ciment armé, matériaux nouveaux qui n’ont pas encore épuisé toutes les combinaisons dont ils sont susceptibles, capables de favoriser ainsi l’ingéniosité de l’artiste ; matériaux vraiment modernes et qui, par leur souplesse, par leur extraordinaire résistance, se prêtent seuls, en réalité, à l’exclusion des matériaux traditionnels, à la solution des programmes dictés par les conditions sociales actuelles. Toutes les fois qu’il s’agira de rassembler des foules dans une salle de conférences, de réunion publique, dans un théâtre, dans une bibliothèque, comme dans un édifice religieux, c’est au ciment armé ou au fer que, selon son tempérament, l’architecte devra recourir.
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« Alors, nous avons pour couronner nos cités reconstruites, des abris, des bâtisses, des hangars suffisants, sans doute, pour l’usage, mais indigents et sans beauté ? » Détrompez-vous : vous aurez de la belle, de la saine, de la véritable architecture. Tout ce que je viens de condamner, en me retranchant derrière le prétexte de pauvreté, est proscrit, au nom de la raison par les architectes théoriciens les plus clairvoyants. Il n’est pas de matériau vil ou méprisable. On peut faire des chefs-d’œuvre avec la brique, qui n’est pas déplacée au château de Versailles, et, trop souvent, les marbres et les dorures ne font que souligner l’indigence des idées de l’artiste. L’effort essentiel de l’architecte n’est pas de faire étalage de richesses, mais de réaliser, avec un sens artiste, une œuvre de vérité.
« Étudier avec soin les nécessités d’un programme en faisant dire clairement et exactement aux futurs affectataires ce qu’ils veulent et ce qu’ils doivent vouloir, et en effaçant ses sentiments personnels pour se souvenir que, dans l’immense encyclopédie de notre profession, cette détermination et cette assimilation des besoins des autres sont primordiales et indispensables ; connaître les matériaux du pays, parce que ce sont souvent les seuls qui résistent bien dans le milieu où ils sont nés et aussi parce que l’ouvrier en sait plus intimement l’usage et les employer intelligemment, c’est-à-dire ne faire rendre à chacun d’eux que ce qu’il peut donner comme forme, comme couleur et comme résistance. Tels sont les deux principes essentiels de toute architecture », écrit M. Louis Bonnier, l’éminent architecte du groupe scolaire de la rue Sextius-Michel. Il se trouve d’accord avec M. Guadet, avec Anatole de Baudot, avec M. Plumet qui proclame bien haut que « toute œuvre d’art n’a jamais été que l’expression de la vérité ».
Les entraves que nous imposons aux architectes, loin de les contraindre, leur rendront plus aisée la recherche esthétique. Ceux d’entre eux qui sont de vrais artistes béniront les municipalités qui les dispenseront de perpétrer des horreurs qu’ils n’exécutent, le plus souvent, que contraints et forcés par la clientèle. Les autres se regimberont peut-être, mais avec un peu de fermeté, on les mettra dans l’impuissance de nuire. Ainsi, les architectes seront incités à faire œuvre de beauté et aussi à faire acte d’intelligents novateurs. L’architecte Boileau, champion de l’usage du fer, citait une page suggestive de Théophile Gautier qui mérite d’être rappelée : « L’emploi de la fonte, écrivait Gautier, permet et commande beaucoup de formes nouvelles, comme on le voit dans les gares de chemins de fer, dans les ponts suspendus, les voûtes des jardins d’hiver, dont la construction serait impossible autrement. De nos usages actuels, inconnus des anciens, des besoins et des découvertes de notre civilisation, jailliront tout naturellement les nouvelles formes ». On ne saurait mieux exprimer et nos principes et nos espoirs.
En post-scriptum : « Le Conseil supérieur de l’Instruction publique a décidé d’augmenter, au brevet élémentaire, l’importance des épreuves de français, d’histoire et de géographie. Nous souscririons volontiers à cette réforme si elle ne s’accomplissait au détriment des épreuves de dessin, de couture et de gymnastique, dont le rôle a été amoindri. On peut penser que le moment est mal choisi pour affaiblir couture et gymnastique et que la France a, plus que jamais, besoin de ménagères expertes et de citoyens forts. Surtout, on ne saurait trop protester contre la défaveur jetée sur le dessin, à l’heure où les nouvelles méthodes commencent pleinement à porter leurs fruits et où l’enseignement du dessin à l’école primaire apparaît comme un des moyens les plus efficaces, les plus nécessaires, pour assurer l’essor de nos industries d’art, source de gloire et de richesse nationale ».
« L’ouverture, au musée du Luxembourg, de deux salles de peinture anglaise, nous permet d’étudier mieux qu’il n’était possible naguère, en France, cet art raffiné, complexe, tendre où, dans une forme très voulue, s’inscrit toujours une signification intense. Une partie des œuvres exposées ont été offertes à notre pays par un donateur généreux, sir Edmund Davis ; elles sont présentées avec un art heureux et un soin que l’on voudrait rencontrer dans toutes les galeries de nos musées ».