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Léon Rosenthal, militant, critique et historien d'art

La résurrection des villes. La maison d’école (II), L’Humanité, « L’Actualité artistique », 24 juillet 1915, p. 3.

Nous avons choisi, pour l’école, un emplacement central, gai, spacieux à souhait, en un mot parfait de tout point ; maintenant, nous nous adressons à l’architecte et nous lui disons : « Monsieur l’architecte, faites-nous une belle école, la plus belle que vous pourrez. Ne la faites pas belle comme un palais de justice, une caserne de gendarmerie ou une prison. Chacun de ces édifices a son mérite et son caractère, nous n’en disconvenons pas, mais, ici, voyez-vous, il ne s’agit pas d’inspirer le respect des lois, la crainte des autorités ou la terreur des châtiments. Nous ne nous adressons pas, monsieur l’architecte, à de grandes personnes qui ont besoin qu’on leur en impose, nous préparons un asile pour des tous petits, qui demandent à être aimés. Nous sommes des pères de famille. Nous voulons que nos enfants soient instruits et, pour qu’ils bénéficient de l’école, nous désirons qu’ils y courent avec joie. Ce qu’il nous faut, ce n’est pas un bâtiment qui fasse la gloire de la commune, ni même, soit dit sans vous offenser, qui fasse admirer votre talent, mais un édifice qui plaise à nos petits, une maison accueillante, riante, paternelle, où ils se sentent chez eux ». Voilà ce que nous dirons à l’architecte et, s’il tient compte de nos observations, il se conformera à l’une des règles essentielles de son art, qui est d’accentuer le caractère de chaque édifice, car il ne suffit pas qu’un édifice réponde, avec exactitude, à une destination définie, il faut encore que, du premier coup d’œil, on puisse reconnaître cette fonction.

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Vous voulez que l’enfant ne ressente aucune appréhension de la maison d’école, que, longtemps avant d’y être admis, il désire la fréquenter, qu’il éprouve, à en franchir le seuil, un plaisir chaque jour renouvelé ? Enlevez de votre construction tout ce qui pouvait lui donner un aspect redoutable. Cet aspect solennel, officiel, que la plupart des gens admirent bien à tort, ne peut qu’intimider les tout petits. Vous prodigueriez les frontons, colonnades, statues, bustes, que sais-je, que tout ce luxe demeurerait inefficace et, si la maison d’école est une grande bâtisse nue, régulière et morne, elle n’en sera pas plus séduisante.

Rapprochez au contraire, autant que possible, l’école de la maison paternelle. Faites, surtout au village, car dans la ville les enfants, hélas ! sont plus familiarisés avec les monuments rogues et ne savent pas exactement ce que c’est qu’un foyer, faites que l’école soit une maison comme les autres maisons du pays, seulement plus belle, plus avenante : le problème sera, en grande partie, résolu.

Vous voyez que nous demeurons d’accord avec nous-mêmes et que nous ne réclamons de l’architecte constructeur d’école rien que nous n’ayons déjà demandé pour toute construction communale. Ici, comme en toute circonstance, nous prescrivons un étalage stérile et nous invitons l’artiste à s’inspirer du caractère traditionnel de la région.

Donc, et ceci est vrai, naturellement, à la ville comme au village, rien de gourmé, rien d’écrasant : surtout, n’armez pas les fenêtres de barreaux de fer, destinés à repousser d’imaginaires agressions. Ne vous en tenez pas là. L’enfant, évidemment, n’est pas insensible au jeu des lignes et des masses ; il subit la contrainte d’une façade qui veut être imposante et qui n’est que rébarbative. Mais, avant tout, ce qui le touche c’est la couleur. Il aime les tons vifs, les couleurs claires, il a peur de ce qui est sombre ou noir. Ne vous dérobez pas à ces indications. Une belle école est une œuvre de coloriste.

Pour y réussir, l’architecte trouvera, presque en toute région, des éléments favorables et des exemples. Les matériaux locaux, dont nous avons préconisé l’emploi, ont des tons, des aspects pittoresques que les ouvriers du pays savent, ou ont su autrefois, mettre en valeur. La brique, qui est, partout, un matériau peu coûteux et d’un maniement facile, se prête, sans aucun frais, à des combinaisons infinies de dessins et de couleurs. Il faut, d’ailleurs, peu de chose, très peu de chose, pour égayer une façade : quelques tuiles vernissées, le jeu de deux tons de briques suffisent à frapper la vue. Les toits, dans les pays où ils prennent volontiers un grand développement, sont un élément joyeux de premier ordre. Couverts de tuiles qui chantent sous le soleil ou revêtus d’ardoises bleues, ils sont splendides et familiers. Loin de chercher à diminuer leur importance, l’architecte les mettra en valeur.

Dans son désir de coloration, l’architecte ne se laissera pas arrêter par des scrupules de fausse délicatesse. Il ne se confinera pas dans les tons pâles, les nuances amorties, les harmonies éteintes que l’on tient, trop souvent, pour exclusivement distinguées. Les enfants n’entendent rien à ces règles arbitraires. Ils aiment, et ils ont bien raison, ce qui est franchement bariolé. Leur goût, en ce point, vaut bien le nôtre, ils sont d’accord avec les Grecs qui peignaient de tons vifs leurs temples et avec les artistes du Moyen Âge qui bariolaient, sans ménagement, leurs cathédrales. Ce sont là des précédents qu’il n’est pas permis de dédaigner. Que l’architecte ne craigne donc pas d’être audacieux. Il aura, sûrement, pour lui, l’approbation des tout petits qui sont, je ne cesse de le répéter, les véritables clients qu’il doit satisfaire. Quelques grandes personnes, un peu dégagées des préjugés courants, ne rougiront pas de partager l’opinion des bambins. La foule, à son ordinaire, protestera, d’abord, et finira par applaudir. D’ailleurs, sous notre climat, surtout dans le Nord et dans l’Est, le vent, la pluie, les fumées d’usines, auront vite fait d’atténuer ce que votre palette pourrait avoir d’outrancier. Les notes vives s’amortiront et, bientôt, elles ne seront que trop apaisées.

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Il est, enfin, un dernier élément, grâce auquel l’école achèvera de prendre un aspect accueillant, et celui-ci n’exige de l’architecte ni génie, ni talent, à peine un peu de goût. Je veux parler des plantes qui, dès le seuil, s’ouvriront aux petits écoliers. Une glycine, une vigne vierge – le lierre est trop sombre, trop humide – métamorphosent une muraille nue. Ceux qui ont visité les célèbres collèges anglais d’Oxford savent qu’une grande partie du charme qui s’en exhale vient de frondaisons de vignes vierges dont presque tous les murs sont tapissés.

Beaucoup de plantes, si l’emplacement s’y prête et s’il est facile de se les procurer ; un simple rosier qui grimpe et dont on peut, intelligemment, diriger les branches ; moins que cela même, quelques plantes vivaces dans une caisse, sous un porche, mais tout au moins de la verdure ! C’est le sésame magique grâce à quoi l’enfant franchira le seuil sans pleurer. Comment avoir peur d’une maison fleurie ; des méchantes gens pourraient-ils vivre parmi les fleurs ?

J’insiste beaucoup sur la façade de l’école et je ne crois pas que mon insistance soit excessive, étant donnée l’influence essentielle que cette façade est appelée à jouer sur les imaginations enfantines. Je suis, du reste, bien tranquille : on ne trouvera, dans les indications que je viens de donner, aucun conseil qui incite l’architecte à faire de mauvaise architecture, c’est-à-dire à édifier une fausse façade, sans rapport avec l’économie intérieure de l’édifice ou à subordonner cette économie aux apparences. Ce que j’ai dit se concilie absolument avec une construction saine et rationnelle. J’ajoute que le souci d’expression logique aura, sur la façade, les répercussions les plus heureuses.

L’impression que donnent les boîtes à loyer de nos grandes villes et la plupart des monuments publics vient, en très grande partie, de la répartition symétrique et monotone des fenêtres. Ces baies implacablement alignées contribuent à créer ce que l’on caractérise fort bien par ces mots : l’aspect caserne. Or, une école est précisément un bâtiment pour lequel une telle symétrie n’a aucune raison d’être. Les salles de classe, les préaux, les cages d’escalier s’éclairent par des baies dont les formes, la dimension diffèrent, dont la disposition est irrégulière. Un bon architecte ne s’ingéniera pas à dissimuler cette disparité nécessaire. Il la bénira comme un élément de beauté et de variété. Il en tirera, pour ses façades, un parti pittoresque.

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La liaison entre la façade et l’intérieur est opérée par le porche. Celui-ci revêtira nécessairement des dispositions extrêmement diverses selon l’espace, dont on disposera, selon que l’entrée sera précédée d’une avant-cour, qu’elle s’ouvrira sur une place ou sur une rue, que cette rue sera large ou étroite. De toute façon, ce porche, qui est la préface de l’école où les parents attendent leurs enfants, par lequel s’effectuent les manœuvres difficiles de l’entrée et de la sortie, devra être une des parties les plus étudiées de l’édifice et, si l’espace manque, il restera à l’architecte de se montrer très ingénieux. Il imaginera un porche intérieur, comme l’a fait M. Bonnier pour le groupe scolaire de la rue Sextius-Michel et, sans usurper l’alignement d’un trottoir étroit, conservera à l’accès son caractère hospitalier. Autour de ce porche, suivant encore les préceptes et l’exemple de M. Bonnier, il pourra rassembler toutes les séductions de son art. D’une façade riante, ce sera la partie la plus égayée.

Ainsi, tout aura été calculé pour rendre l’école attrayante. Par tant de soins, elle ajoutera, vraiment, à la beauté de la cité, elle donnera, parmi d’autres édifices de caractère différent, une note originale, note de gaîté, note d’allégresse. Ces attraits, du reste, ne seront pas décevants et, bientôt, pénétrant à l’intérieur des bâtiments dont nous n’avons, jusqu’ici étudié que les apparences, nous verrons comment tout peut s’y combiner pour le travail dans la joie.

En post-scriptum : « La Tombola organisée par un groupe d’artistes du Salon d’Automne et du Salon des Indépendants, au profit de la Fraternité des artistes, a groupé, dans un esprit de solidarité, autour de Rodin, de Renoir et de Claude Monet, qui ont envoyé des œuvres importantes, les meilleurs de ceux qui essaient d’entraîner l’art français vers des voies nouvelles. L’exposition des lots à la galerie Druet (20, rue Royale) est comme un manifeste de vitalité et d’audace. Je cite, presque au hasard, les noms de Mmes L. Cousturier, Agutte, de Maurice Denis, Jules Flandrin, Lebasque, Luce, Vuillard, de Marcque, de Metthey, de Rivaud. Le prix du billet est fixé à un franc […] ».