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Léon Rosenthal, militant, critique et historien d'art

La résurrection des villes. La maison d’école (III), L’Humanité, « L’Actualité artistique », 7 août 1915, p. 3

La mère a conduit son enfant à l’école et la vue de l’édifice accueillant et pimpant lui a fait du bien au cœur. Si elle est de condition aisée, elle ne redoute plus d’abandonner son petit dans un endroit aussi attrayant. Si elle est pauvre, elle se réjouit de penser que le bambin sera délivré, quelques heures, du triste spectacle de misère qui le presse au logis. Le bonhomme, de son côté, sent, à peine, une petite appréhension. Il va vers l’inconnu, et l’inconnu est toujours redoutable ; mais il voit bien qu’on ne l’entraîne pas vers l’antre de la fée Carabosse ; il marche comme s’il allait pénétrer dans le palais de la Belle au Bois dormant. Il ne faut pas que cette confiance soit déçue. En attendant que la parole du maître ou de la maîtresse se découvre attachante et caressante, en attendant que l’enfant ait deviné de quelle sollicitude bienveillante et aimante il se trouve entouré, il doit, du premier instant, en pénétrant, dans la classe, s’être dit « Comme on est bien ici ! »

La salle de classe doit être spacieuse, haute de plafond. La surface est limitée par la portée de la voix du maître, par les possibilités de surveillance utile. Les enfants doivent y avoir leurs aises. En même temps, la salle est faite pour un nombre d’écoliers déterminé et limité. Les parents, comme les maîtres, ont intérêt à ce que les groupes restent peu nombreux. Je me vois donc partagé entre deux pensées : le désir que la classe soit très grande, pour que les enfants y soient libres et y puissent facilement évoluer – la peur que, tôt ou tard, l’on ne soit tenté d’abuser de ces facilités, pour entasser, dans une seule salle, un nombre excessif d’élèves. La prudence et l’expérience conseillent, en définitive, de se méfier de dimensions séduisantes, aujourd’hui et qui, demain, seraient illusoires. Faisons des classes telles que les écoliers y soient commodément, mais que la nécessité s’impose, en cas d’accroissement notable de la population scolaire de créer des salles nouvelles.

Pour les plafonds, pas de hauteur démesurée. Les lois de l’hygiène exigent un cube d’air minimum pour chaque enfant, mais ce minimum est largement dépassé avec un plafond de hauteur raisonnable et, d’ailleurs, en ce point, l’essentiel est le renouvellement fréquent de l’air et la ventilation facile. Une surélévation excessive est inutile pour la santé ; elle augmente les difficultés du chauffage en hiver ; elle produit, de plus, sur l’enfant, en raison de l’exigüité même de sa taille, plus que sur l’adulte, une pénible impression. Il se sent dominé et comme écrasé, ainsi qu’au fond d’une cave.

Nous nous trouvons ainsi ramenés, par le raisonnement, à rapprocher les dimensions de la salle de classe de celles d’une chambre d’un appartement spacieux, de même que nous avons été conduits, déjà, à rapprocher la silhouette et l’allure extérieure de la maison d’école de celles d’une maison confortable d’habitation.

L’assimilation cesse au contraire, quand il s’agit de dessiner les baies d’éclairage. Je n’entrerai pas, ici, dans les discussions suscitées entre ophtalmologistes par la question de l’éclairage unilatéral ou bilatéral. Tout le monde est d’accord sur la fatigue que provoque, pour la vue, un double éclairement venant de deux côtés opposés avec une intensité égale. Par contre, l’ordre impérieux de n’ouvrir qu’une seule paroi paraît, à certains hygiénistes mêmes, trop intransigeant, et je sais des avis autorisés, je citerai celui du professeur Truc, qui admettent un éclairage auxiliaire, complémentaire sur la paroi opposée, pourvu que l’intensité en soit, très nettement différente. Cette méthode présente, à mes yeux, l’avantage de rendre beaucoup plus facile et rapide le renouvellement de l’air vicié et, aussi, de permettre l’aération aux heures où le soleil, frappant la paroi ouverte, oblige à fermer les baies.

L’essentiel est que la classe soit très éclairée, une règle absolue paraît s’imposer. L’alternance de fenêtres et de parties pleines, qui est de règle dans un appartement privé, est absurde dans une salle d’école. Les enfants doivent recevoir, d’un avis général, la lumière de côté, de façon à n’en être pas éblouis et, de préférence, du côté gauche pour que la main, quand ils écrivent, ne fasse pas ombre portée sur leur cahier. Il est inadmissible que les uns soient franchement et directement éclairés, tandis que les autres ne bénéficieront que d’une lumière indirecte. C’est cependant ce qui arrive nécessairement si le mur présente une succession de fenêtres et de parois pleines auxquelles les bancs répondront alternativement ou au hasard. Dans ce cas qui, par malheur, est le plus ordinaire, l’éclairage n’est jamais convenable ; il est excessif pour les uns ou insuffisant pour les autres.

Il s’impose donc que le mur soit entièrement percé par une baie unique. L’ouverture de cette baie ne présente aucune difficulté technique ; si on veut l’amortir par un linteau droit, le bois, le fer ou le ciment armé se prêtent à dégager les vides utiles. On peut imaginer aussi des baies cintrées et des formes de cintres d’une extrême variété. Pour l’architecte, c’est une des ressources esthétiques les plus caractéristiques de la construction scolaire. Il est bien entendu que des meneaux étroits, des armatures peuvent et doivent diviser la baie et que la répartition en même de ces meneaux et le jeu de ces armatures est un élément dont l’artiste saura tirer parti.

Si la classe est de plain-pied avec un jardin et si elle est éclairée du côté du jardin, dans les pays où le climat y encourage et où, à certaines époques, la classe peut être faite en plein air, l’architecte peut faire descendre jusqu’au sol les volets de la porte-fenêtre, de façon qu’on les puisse replier pour ouvrir totalement la baie. Une telle disposition n’est possible et désirable que dans des régions privilégiées. Ailleurs, la lutte contre les saisons froides oblige à arrêter la baie à hauteur d’appui. Mais cette hauteur même demande à être soigneusement étudiée. Au congrès de l’Art à l’École qui se tint, en 1909, à Nancy, M. Montfort, inspecteur général de l’enseignement du dessin en Belgique, fit à ce sujet des observations heureuses et délicates. « Les fenêtres dans nos écoles, dit-il, sont souvent trop hautes. L’enfant est là enfermé comme dans une cage. Il n’a pas d’horizon pour reposer sa vue ; on ne lui fournit jamais le moyen de reposer sa vue. C’est là une lacune de l’enseignement. Les yeux doivent se reposer non seulement sur du vert et sur du gris, je voudrais les voir aussi se reposer sur la cour. Je voudrais voir cette cour décorée et animée avec un peu de verdure pour en rompre la monotonie. Lorsque l’enfant se sentirait fatigué, il n’aurait qu’à jeter un regard dans la cour. Pour cela, il serait nécessaire d’abaisser le niveau de la fenêtre du côté de la cour. Rien n’autorise à prétendre que l’enfant doive nécessairement être emprisonné pour recevoir l’instruction. »

Je cite avec plaisir ces paroles d’un brave homme qui auraient réjoui Michelet. Je sais qu’elles scandaliseront encore quelques pédagogues qui redoutent tout ce qui peut égayer et distraire l’enfant. L’expérience ne leur a pas enseigné qu’un écolier sérieux est tout entier à son travail dans le milieu le plus riant, et qu’un gamin dissipé trouve dans la salle la plus nue des prétextes pour dévoyer son attention débile. Ils demandent à l’enfant ce qui est insupportable aux hommes faits, car les écrivains et les penseurs n’ont pas, d’ordinaire, l’habitude de travailler entre quatre murs nus. Ils s’entourent d’objets qu’ils aiment et si leur fenêtre s’ouvre sur une belle perspective, le plaisir qu’ils prennent à en jouir n’affaiblit pas la force de leur pensée. Nous avons demandé que l’école fût construite dans un endroit riant. Si, par-delà la fenêtre, s’ouvre un horizon heureux, en priver l’écolier est une véritable et inutile barbarie.

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Le sol de la classe sera formé d’une matière facilement lavable et ne présentant aucun joint, aucune fissure où s’accumulent les poussières et les résidus. Les parquets de bois doivent donc être proscrits ; par contre certains enduits, comme le porphyrolithe, peu coûteux et très résistants, sont particulièrement indiqués. Le passage du plancher à la muraille et celui de la muraille au plafond seront légèrement arrondis, formeront gorge, ce qui est essentiel pour l’hygiène et présente, pour l’œil, des transitions adoucies.

Pour la muraille même, les couleurs sombres, sales dès le premier jour, noir, marrons, seront absolument écartées. Les nuances claires ou vives ne sont guère plus salissantes et il suffit de badigeonner jusqu’à hauteur de cimaise d’une couleur plus sourde pour parer aux inconvénients d’usage. Mais ceci dit, il est impossible ou absurde d’édicter des règles générales. Le blanc pur, d’un très vilain effet, en certains pays, peut, sous un autre éclairage, être parfaitement indiqué. De même, un crêpé à la chaux donnera parfois un grain agréable à l’œil et, ailleurs, un mur entièrement lisse plaira davantage.

On a, parfois, plaisanté les efforts de la Société de l’Art à l’École qui combattait en faveur des couleurs claires et l’on a imaginé, par manière de raillerie, le pot à couleur esthétique qui, expédié par la poste à tous ceux qui en feraient la demande, devait donner mécaniquement une allure pimpante à la classe et en métamorphoser l’aspect. La société de l’Art à l’École aurait été parfaitement ridicule si elle avait usé de ces procédés simplistes. Ai-je besoin d’ajouter qu’elle a envisagé le problème d’une façon bien différente ? Elle a proclamé, en toute occurrence, la supériorité des tons clairs ou vifs dont la gaîté, la luminosité ne peuvent être nulle part déplacées. Mais le choix des couleurs, pour chaque école et dans chaque école, pour chaque classe, a été livré par elle à la décision de l’architecte. C’est une décision qui doit être prise sur place et qui ne peut l’être que par un homme de goût. L’homme qui a construit l’école, qui en a étudié tous les aménagements et toutes les particularités, est aussi celui qui doit parfaire son œuvre en habillant la salle de classe. Ce serait lui faire injure que de penser qu’il a choisi ses tons au hasard, d’autant plus qu’il ne lui en coûtait pas plus cher d’en adopter un plutôt qu’un autre.

La conclusion s’impose : si, pour une école ancienne, construite selon des errements périmés, fatiguée par un long usage, l’instituteur est absolument libre de faire disparaître le badigeonnage ancien sous des nuances nouvelles qu’il aura adoptées lui-même, il n’en va pas du tout de même pour les écoles neuves, pour celles qui ont été construites hier ou qui, demain, s’élèveront dans les cités ressuscitées. Là, les couleurs de la muraille font partie intégrante de l’accord général. L’instituteur n’est pas plus maître de les modifier qu’il ne serait en droit de transformer une porte, une fenêtre ou une corniche. Qu’il entretienne donc l’école du mieux qu’il pourra, qu’il obtienne de la municipalité les nettoyages et les lavages la plus fréquents possibles. Le jour où un badigeonnage nouveau sera devenu nécessaire, il se conformera strictement aux couleurs anciennes pour les raviver ; s’il croit une modification opportune, il ne l’effectuera qu’après avis de l’architecte.

Ce que je dis des couleurs de la muraille doit, naturellement, s’entendre aussi de la disposition de la plinthe, s’il en existe une, des lambris, des revêtements de toute sorte, de l’appui ou de l’encadrement des baies, comme aussi des frises décoratives susceptibles d’égayer la muraille. Tout cela dépend des conceptions du maître de l’œuvre. Il lui appartient, en particulier, de décider si le mur comporte une décoration et quelle décoration. II y a là une question assez délicate, qui mérite d’être examinée de près et qui a son histoire. L’espace me manque pour l’étudier aujourd’hui et c’est par là que, la semaine prochaine, nous reprendrons notre entretien.