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Léon Rosenthal, militant, critique et historien d'art
Une illusion généreuse conduisit, il y a quelques années, un groupe d’amis passionnés de l’enfance et de l’art, à penser qu’il suffirait de nettoyer la salle d’école, de la désencombrer des objets qui en surchargeaient les murs, et de faire courir à la partie supérieure de ces murs une frise décorative pour que l’aspect de la classe en fût métamorphosé. Animé par cette persuasion, le Comité de l’Art à l’école invita les artistes à témoigner leur reconnaissance envers la maison où ils avaient reçu leurs premières leçons en en décorant les murailles. Comme toutes les communes ne pouvaient se flatter d’avoir donné le jour à des artistes, on s’adressa au zèle des instituteurs ; on leur apprit la pratique du pochoir ; on leur recommanda les frises composées par un excellent artiste à l’usage du Touring-Club ; on leur offrit un modèle que le maître Albert Besnard avait imaginé à leur intention.
Le mouvement déterminé par l’Art à l’école donna, sur certains points, de très heureux résultats. En prêchant la propreté, en protestant contre l’étalage désordonné et abusif de tableaux pédagogiques, le plus souvent en mauvais état et, presque toujours, d’un aspect déplorable, il émettait des principes qui ne se pouvaient contester et dont l’application était, pour ainsi dire, infaillible. En ce qui concerne les frises, au contraire, à côté de réussites remarquables, de classes rendues délicieuses, de petits chefs-d’œuvre de goût ou d’ingéniosité, il y eut, il faut l’avouer, un très grand nombre de travaux médiocres et même certains embellissements détestables.
Alarmé par un effet si éloigné de ses espérances, le comité de l’Art à l’école en est arrivé à recommander, simplement, pour les salles de classe, la propreté et l’ordre. Et, comme il paraît souvent nécessaire de justifier des décisions qu’a dictées l’expérience par des raisons théoriques, quelques-uns ont déclaré que les frises et, d’une façon générale, toute décoration fixe, étaient déplacées dans la salle où les enfants travaillent, parce que les petits devenaient très rapidement insensibles aux spectacles qu’ils avaient constamment sous les yeux.
Principe évidemment faux et au nom duquel on pourrait condamner tout effort fait pour égayer l’école. En réalité, si l’enfant cesse d’avoir la perception consciente de ce qui l’entoure, il n’en est pas moins enveloppé par l’atmosphère qui lui a été créée, et il est, d’ailleurs, des moments où son attention se réveille et où il jouit pleinement de la beauté avec laquelle il vit familiarisé. Il n’est plus, en cela, différent des hommes d’études qui n’ont pas l’habitude de bouleverser et de renouveler constamment leur cabinet : ils vivent entourés d’objets qu’ils ont choisis, qu’ils ont parfois acquis au prix de réels sacrifices, dont ils ne se lassent jamais. Parfois, ils semblent les avoir oubliés ; le hasard d’une méditation les rapproche de leur pensée. Je sais bien qu’il est un petit buste d’enfant, modeste moulage de plâtre d’un original florentin, qui me tient compagnie depuis plus de vingt ans, et dont la grâce ingénue n’est pas, pour moi, épuisée.
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Le Comité de l’Art à l’école ne s’était donc pas trompé, lorsqu’il préconisait « l’école joyeuse et parée ». Mais le désir d’accélérer son action et d’obtenir des résultats immédiats l’avait entraîné, dans l’application, à commettre une série d’imprudences. Je dis imprudences et non pas erreurs ; les membres du Comité connaissaient fort bien les lois qu’ils transgressaient ; mais ils avaient cru que leurs infractions seraient de médiocres conséquences et c’est en quoi ils se trouvèrent déçus.
Ils savaient parfaitement que les mêmes motifs, fussent-ils de l’art le plus raffiné, ne pouvaient convenir, sans modification, à toutes les communes de France. Le choix des sujets, le caractère du dessin, l’harmonie du coloris devaient dépendre des ressources, du caractère, du climat de chaque région. Cette grande vérité du régionalisme, sur laquelle j’ai déjà plusieurs fois insisté, trouvait ici un de ses plus sûrs développements. L’algue marine et les coquillages, le pommier, la vigne, la rose des Alpes ou la châtaigne étaient des thèmes tout indiqués dans certaines provinces et absurdes à d’autres endroits. Les forts contrastes ici, ailleurs les nuances ténues étaient souhaitables. Le Comité appela de ses vœux une élaboration multiple ; il eut le tort de ne pas l’attendre.
De même, on ne pouvait ignorer qu’un pochoir, excellent en lui-même, ne développait ses qualités que dans certaines conditions déterminées. En l’utilisant indifféremment dans une salle vaste ou exiguë, très élevée ou basse, très éclairée ou obscure, à plafond uni ou à solives apparentes, on courait les très grands risques d’en tirer un très méchant parti. Hors d’échelle, c’est-à-dire sans rapport exact avec les dimensions ambiantes, il devait apparaître tantôt lourd et tantôt mesquin, obsédant ou invisible. En réalité, une décoration n’est bonne que pour une destination précise. Le passe-partout n’est nulle part satisfaisant de tout point. L’Art à l’école ne s’y trompait pas ; il avait espéré seulement que les disparates seraient plus faibles qu’elles ne se montrèrent à l’usage.
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L’emploi irréfléchi des pochoirs ne fut pas, au reste, la faute la plus fâcheuse. Les décorations originales, dont certaines écoles furent dotées, encoururent les plus essentiels reproches. Ceux-ci visaient moins les travaux accomplis par quelques instituteurs avec l’aide de leurs élèves, travaux gauches, sans doute, et naïfs, mais toujours sympathiques par leur bonne volonté, que les peintures exécutées par des artistes professionnels. C’est que ces derniers, même doués d’un talent réel, voulurent, en général, trop bien faire et donnèrent à leurs œuvres un caractère ambitieux. Surtout, ils n’avaient presque jamais réfléchi sur les conditions mêmes de leur entreprise et ils méconnurent les lois élémentaires qui s’imposent à tout travail décoratif.
En aucun cas, pour ainsi dire, on ne tint compte du caractère même des édifices, quand ceux-ci étaient anciens, ou l’on ne demanda le concours de l’architecte quand il s’agissait de constructions récentes et qu’il était possible de consulter celui qui les avait élevées. Or, si, par un préjugé répandu, on imagine souvent qu’il est possible d’enrichir, à volonté, de motifs décoratifs sculptés ou peints, l’extérieur ou l’intérieur d’un édifice, il n’est pas, en réalité, d’erreur plus contraire aux principes d’une saine et valable architecture.
Un monument, quand il a été conçu par un architecte maître de son art, comporte une décoration déterminée qui n’est pas un luxe postiche mais fait partie intégrante de la conception même. Il se peut que l’artiste, faute de ressources, renonce à réaliser intégralement la décoration qu’il avait imaginée. Dans ce cas, le monument demeure, véritablement, inachevé. Si l’artiste, au contraire, a pu disposer de crédits illimités, il met son œuvre au point et atteint un certain terme qu’il ne dépasse plus. Tout ce qu’il serait tenté d’ajouter ou tout ce qu’une intervention indiscrète pourrait lui suggérer formerait surcharge ou contresens.
L’Antiquité a tourné en dérision un méchant peintre qui avait représenté une Vénus couverte de bijoux : ne pouvant la faire belle, il l’avait faite riche. Les architectes qui, sur des constructions d’une conception pauvre, plaquent des bas-reliefs exubérants, encastrent des céramiques ou étalent des peintures décoratives, ne sont pas plus raisonnables. On conçoit, à présent, quelle fut l’erreur des peintres qui illustrèrent les salles de classe. Sur une architecture très médiocre ou sans valeur, ils tracèrent des guirlandes imprévues, dont se trouve, en définitive, soulignée encore la laideur de l’édifice.
Je m’excuserais de la longueur de ces développements si rien de ce qui touche l’école pouvait être indifférent, si, d’ailleurs, mes réflexions ne dépassaient pas leur objet direct et ne trouvaient leur application dans toute architecture et, enfin, s’il n’était possible de dégager, de l’expérience du passé, des conclusions pour l’avenir.
Ces conclusions, je l’imagine, mes lecteurs les auront formulées avant moi. Quand le moment sera venu de reconstruire les écoles des régions envahies et, en général, toutes les fois qu’il s’agira de bâtir une école nouvelle, on se gardera d’imposer ou de proscrire l’emploi de frises décoratives. On remettra cette décision, comme toutes les décisions esthétiques, au libre arbitre de l’architecte, qui est, ne l’oublions pas, le maître de l’œuvre. Celui-ci se prononcera, non pas selon sa fantaisie, mais suivant son goût et selon l’idée qu’il se sera formée de son édifice. Il emploiera des revêtements céramiques, des carreaux de pâtes vitreuses, il placera une frise sous le plafond ou la fera courir à hauteur de cimaise ou il laissera le mur nu ; nous devons nous en remettre à lui. Le crédit qui lui sera alloué – l’hypothèse, dans les circonstances présentes, n’est pas invraisemblable – ne lui permettra peut-être pas de réaliser immédiatement ses désirs. Dans ce cas, il laissera des surfaces nues qu’il aurait voulu pouvoir égayer. Mais, dans ce cas aussi, il avertira la municipalité et l’instituteur de ses regrets, et si, plus tard, dans un avenir qu’il faut espérer prochain, la commune, redevenue prospère, peut disposer de ressources nouvelles, si quelque particulier riche veut faire un généreux et utile emploi de sa fortune, on rappellera l’architecte, on le priera d’achever son œuvre. À son défaut, on se conformera, tout au moins, aux indications qu’il aura, par avance, données.
C’est par ces méthodes, selon cet esprit prudent et logique, que s’accomplira, véritablement, la croisade esthétique entreprise par l’Art à l’école, croisade excellente dont quelques déconvenues ne doivent pas nous détourner.
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La salle de classe est l’organe central de l’école. Auprès d’elle, il est des locaux auxiliaires dont le nombre et l’importance varient selon qu’il s’agit d’une école rurale ou d’un groupe scolaire complet pour une forte agglomération. Il appartient aux instituteurs et à l’inspection primaire d’exprimer aux municipalités leurs désirs, comme il appartient aux architectes d’imaginer les agencements les plus ingénieux pour les satisfaire. Je résiste au désir d’exprimer des questions aussi complexes. Je voudrais que, dans toute école, il y eût des lavabos commodes et surabondants ; l’installation de bains-douches ne me paraîtrait pas un luxe inutile. Pour les fillettes, un matériel spécial, fourneau, ustensiles de cuisine, etc., devrait, partout, rendre facile et pratique l’enseignement ménager. Une pièce auxiliaire, bibliothèque, laboratoire, réserve, où l’instituteur pourrait conserver et classer toutes cartes, tableaux, échantillons, globes terrestres, dégagerait la classe et apporterait de précieuses facilités à l’enseignement. Je n’insiste pas sur ces indications insuffisantes ou indiscrètes.
Je n’insiste pas non plus sur le logement personnel de l’instituteur. Tout le monde sera d’accord pour désirer que ce logement soit le plus spacieux et le plus agréable possible, qu’il comporte un jardin, qu’il soit tel, en un mot, que l’instituteur s’y plaise, comme le curé dans son presbytère, et qu’il y trouve une raison de plus pour s’attacher à ses fonctions et à la commune où il réside. Je n’appuierai que sur un point : il me paraît essentiel que l’appartement de l’instituteur et la classe soient absolument indépendants. Il faut que l’instituteur se sente tout à fait chez lui : il y va de son repos et même de sa dignité ; les enfants le respecteront plus s’ils sont tenus à distance de son foyer. Cette indépendance peut se réaliser de plusieurs façons et ceci me conduit à un nouveau problème dont je remets l’examen à huitaine.
En post-scriptum : « Les Débats on publié, le 6 août, une lettre de M. de Bruignac, adjoint au maire de Reims, dans laquelle sont examinées et réfutées quelques-unes des objections suscitées par le projet de loi Cornudet, voté par la Chambre des députés et soumis, à l’heure présente, à l’examen du Sénat. Écrit par l’un des administrateurs d’une ville martyre dont six cents immeubles sont dès à présent totalement détruits et plus de deux mille très gravement endommagés, ce plaidoyer en faveur des plans d’organisation et d’extension des villes prend une autorité particulière et entraînera, nous l’espérons, si elle est encore hésitante, la conviction de la “haute assemblée” ».