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Léon Rosenthal, militant, critique et historien d'art
J’ai demandé que le logement particulier des instituteurs fût rendu aussi indépendant que possible des locaux scolaires. On ne saurait mieux assurer cette indépendance qu’en installant l’instituteur dans un pavillon isolé. Ainsi se trouve posée une question générale qui est de savoir si l’école doit, nécessairement, être enfermée dans un bâtiment unique ou s’il ne conviendrait pas plutôt, lorsqu’elle prend un développement considérable et constitue, par exemple, un groupe scolaire complet pour une grande agglomération, de la répartir en une suite de pavillons.
Ceci même nous amène à envisager le problème d’une façon plus vaste encore, c’est-à-dire à nous demander si, en quel ordre que ce soit, il est préférable de rassembler des services nombreux et complexes dans des bâtiments énormes ou s’il ne serait pas meilleur de les répartir en pavillons groupés.
Jusqu’à ces dernières années, les architectes n’ont guère vu là de difficultés. Le palais de Versailles abritait, on le sait, la population d’une ville entière, qui y était, au reste, fort mal installée. L’hôtel de ville, le palais de Justice, les hôpitaux des cités les plus considérables, de Paris même, étaient concentrés en des monuments uniques. Les artistes, habitués souvent à confondre l’ampleur des dimensions matérielles avec la grandeur, trouvaient là l’occasion de développer des façades ambitieuses, sinon de réaliser des dispositions commodes et pratiques.
Cette tradition invariable et absurde a été rompue, tout d’abord, au profit des hôpitaux. Les protestations des hygiénistes ont réussi à faire condamner ces constructions immenses où cinq ou six cents malades se trouvaient réunis et par lesquelles on semblait avoir accumulé, à plaisir, toutes les chances de contagion et d’épidémie. Les hôpitaux nouveaux sont, désormais, constitués en groupes de pavillons entre lesquels des cours et des jardins forment des zones de protection.
Tôt ou tard, la complexité grandissante des conditions de la vie moderne amènera, pour les autres organismes, des morcellements analogues. Déjà, le fait se produit de lui-même pour la Faculté des Sciences de l’Université de Paris, dont les différents services se voient dispersés à travers le cinquième arrondissement. De bons esprits réclament la division de la Bibliothèque nationale dont le fonctionnement est paralysé par son universalité même. Par ailleurs, l’Hôtel de Ville est devenu insuffisant pour la vie municipale parisienne et il paraît, pourtant, impossible d’agrandir indéfiniment l’édifice actuel, d’où obligation prochaine de lui associer, tout au moins, des dépendances et des annexes.
La nécessité provoquera, ainsi, des conceptions nouvelles et, peut-être, après les avoir d’abord subies, les artistes les adoptèrent-ils franchement comme vraiment pratiques et susceptibles de beauté. On s’étonnera, alors, de ces couloirs interminables, de ces escaliers nombreux à travers lesquels le public se perd, où les bureaux sont établis d’une façon anarchique, où le désordre matériel entraîne un gaspillage de temps énorme, où, d’ailleurs, sont réunies, à plaisir, les chances d’incendie.
Les architectes emploieront leur talent à édifier des monuments de dimension modeste, de destination simple. Nul doute que leur talent s’y manifeste plus aisément que dans les extravagances hybrides où, trop souvent, ils se complaisent aujourd’hui. La répartition ingénieuse et pratique, le groupement harmonieux de cellules, isolément intéressantes, provoquera des beautés dont nous n’avons aujourd’hui qu’une imparfaite idée. Tous ceux qui ont visité Bruxelles savent l’impression qui naît, sur la place de l’Hôtel de Ville, du voisinage des maisons de corporation qui s’y trouvent rassembles, et personne n’est resté insensible, à Bruges, au charme que dégage le béguinage dont aucune des maisons, pourtant, prise séparément, ne serait peut-être capable de provoquer l’attention.
Pour en revenir à la maison d’école, toutes les fois qu’une nécessité impérieuse n’obligera pas à ménager le terrain, on devra hésiter à réunir en un seul faisceau toute l’école. La maternelle, l’école des garçons, l’école des filles, le logement de l’instituteur et, s’il y a lieu, l’école professionnelle, les ateliers se développeront en une indépendance réciproque qui n’exclut, en aucune façon, l’unité d’agencement, de discipline et de vie.
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Le préau, selon les circonstances, reçoit des développements singulièrement différents. Dans une école de village, c’est ordinairement un simple abri et, dans ce cas, on peut souhaiter que l’orientation en ait été choisie avec soin, qu’il soit assez spacieux pour que les enfants puissent y jouer au lieu d’y être entassés et immobiles aux moments mêmes où ils auraient le plus besoin de mouvement. Tout au moins, il faut qu’il abrite effectivement et qu’il ne soit balayé par les vents, ni par les bourrasques. Presque toujours, il est insuffisant et, sans demander de grands frais ni le moindre luxe, on pourrait désirer qu’il soit développé et que les architectes prennent plus de soin dans l’ordonnance des piliers et du toit qui en sont les éléments constitutifs.
Dans une grande ville, le préau devient, au contraire, un local très important. Sans compter l’abus que l’on peut en faire pour des réunions publiques, politiques de toutes sortes, abus contre lequel il ne faut pas perdre une occasion de protester, le préau est un lieu de réunion, tout désigné pour les occasions où l’école, tout entière, doit se rassembler, pour les jours où les parents eux-mêmes doivent être convoqués. En un mot, il joue le rôle d’une salle de fêtes. Ce double caractère, d’asile contre les intempéries et de lieu solennel, appelle également une décoration joyeuse. Il faut, quand règnent le brouillard, la neige ou la pluie, égayer l’imagination des tout petits et réagir contre les causes physiques de dépression, et cette gaieté est aussi de mise, les jours exceptionnels où l’école s’anime d’une vie unanime.
La disposition d’un local qui doit, selon le caprice du temps, pouvoir s’ouvrir presque absolument, le choix et le caractère de la décoration font donc du préau la partie de l’école où peut se manifester le mieux la personnalité de l’architecte.
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Le choix d’un mot peut engendrer beaucoup de mal. Si l’on avait officiellement décidé que toute école disposerait d’un jardin, il n’est pas de localité si déshéritée où l’ingéniosité de l’instituteur n’eût réussi à créer de la gaieté. Mais on a stipulé que l’école aurait une cour. Une cour, c’est quelque chose de froid, de nu, de pauvre et, désormais, tout effort pour animer cette cour se heurte à l’indifférence, voire, à la méfiance administrative et est paralysé, sinon condamné.
Eh quoi ! nous vivons dans un pays dont l’univers entier reconnaît la beauté, dont les poètes et les romanciers ont, à l’envi, célébré le charme et la douceur souveraine ; nous sommes dans un temps où l’on dénonce la désertion des campagnes, où l’on prêche le retour à la terre, où l’on s’ingénie à retenir dans leurs villages ceux qui ne sont pas encore partis ; chacun proclame la valeur du travail rustique et attribue à la vie des champs une influence salutaire à la fois pour la santé physique et l’énergie morale. Nous désirons, en même temps, que l’école soit, à des existences qui seront, peut-être, dures et, à coup sûr, laborieuses, la préparation la plus efficace et la plus douce ; compatriotes de Rousseau et de Michelet, nous préconisons, pour les petits, une atmosphère caressante ; nous glorifions la nature et l’art, mais nos écoles sont dépourvues de jardins ! toutes les écoles devraient avoir des jardins préparés par les architectes, organisés par les instituteurs et leurs élèves.
À l’architecte, tout d’abord, il appartiendrait de réserver et de répartir les surfaces, de faire planter des arbres en évitant une ennuyeuse régularité, de varier les espèces prises parmi les plus intéressantes de la région, arbres fruitiers ou arbres à feuillage, de prendre garde, aussi, que les ombrages ne viennent pas, quelque jour, fermer les perspectives ou assombrir les salles de classe. Il préparerait les murailles pour les plantes grimpantes et les treilles. Il pourrait imaginer aussi des motifs décoratifs. M. Bonnier, dans l’école de la rue Sextius-Michel, dont j’ai déjà, plusieurs fois, invoqué l’heureux exemple, a eu l’idée d’installer une pergola. Une pergola, c’est la chose du monde la plus simple : quelques poutres verticales qui forment piliers et supportent des poutres légères ou des lattes en constituent l’armature. Des plantes grimpantes, dont le choix varie selon les pays, viennent lui donner la vie. C’est là un motif familier à la Provence, à l’Italie et, d’une façon générale, aux pays où règne le soleil. Il n’est pas d’abri plus agréable, frais et aéré tout ensemble ; il n’est rien dont l’aspect soit plus séduisant ; il n’est rien, enfin, dont l’installation soit moins coûteuse.
Ce serait, encore, l’affaire de l’architecte d’aménager un bassin ou une fontaine. De l’eau pure, de l’eau qui jaillit, qui s’irise aux rayons du soleil et qui chante en retombant dans une vasque ! Il arriverait, sans doute, aux enfants de s’éclabousser, et quelques-uns, peut-être prendraient un bain intempestif. Y aurait-il à cela grand dommage ? Il suffit d’avoir vu, sur les places des villages, les enfants jouer autour d’une fontaine, pour savoir qu’ils ont grand plaisir à patauger parfois un peu et que leurs ébats sont inoffensifs.
Quand l’architecte aurait travaillé, viendrait le tour de l’instituteur. Ici, il ne s’agirait plus d’un travail accompli une fois pour toutes, mais de soins, je devrais mieux dire, d’une joie, de tous les instants. Il faudrait tracer des plates-bandes, choisir les plantes qu’il serait bon de cultiver. Celles-ci, pour emprunter une classification sans rigueur, chère à l’abbé Lemire, forment trois groupes : elles réjouissent, elles nourrissent ou elles guérissent. Il leur arrive de réunir deux de ces rôles ou de les cumuler tous les droits. On devine comment l’instituteur pourrait faire intervenir la collaboration des élèves, et de quelles leçons fructueuses, la création puis l’entretien de ce jardin modèle seraient les prétextes. Au début, il y aurait, sans doute, quelques accrocs. Les conseils d’un collègue voisin plus expérimenté, l’autorité du professeur départemental d’agriculture heureux de rencontrer des auxiliaires, le concours de pères d’élèves intéressés, certainement, par cet essai, auraient vite raison des erreurs initiales.
Les enfants s’instruiraient en se jouant : ils apprendraient le respect de la terre, ils se rendraient compte du prix d’un effort. Les fleurs leur paraîtraient plus belles parce qu’ils les auraient arrosées ; ils se garderaient bien de les arracher, de piétiner les gazons ou de mutiler les arbustes. Partout où l’expérience a déjà été tentée, elle a produit les résultats les plus encourageants. Au jardin collectif, propriété, si je puis dire, de toute l’école, s’ajouteraient, comme complément indispensable, de minuscules jardins attribués soit à des écoliers individuellement, soit à de petits groupes. Il en résulterait une variété, une émulation singulièrement favorable au développement des jeunes sensibilités et des jeunes énergies.
Je n’insiste pas sur tous les concours que l’instituteur rencontrerait dans le jardin, pour son enseignement. Il n’y trouverait pas seulement des modèles pour les leçons de dessin, des exemples pour les leçons de choses, des sujets de narration, il y puiserait quelque chose de plus universel et d’une portée plus haute : grâce au jardin, l’instruction prendrait un caractère plus vivant, parce que plus concret ; grâce au jardin, l’instruction s’imprégnerait de beauté.