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Léon Rosenthal, militant, critique et historien d'art

Une école d’urbanisme, L’Humanité, « L’Actualité artistique », 28 février 1916, p. 3.

Nos architectes vont se trouver, pour la plupart, désemparés par les problèmes complexes et délicats que susciteront la reconstruction des villes et l’application de la loi Cornudet. J’en enregistrais, la semaine dernière, l’aveu, formulé par leurs grandes sociétés et, m’adressant à ces sociétés mêmes, je leur disais : « Puisque vous reconnaissez cette insuffisance, pourquoi ne cherchez-vous pas à y porter remède ? Créez un enseignement que vous savez nécessaire ou prenez garde, si vous manquez à votre rôle ou si vous tardez à l’accomplir, de vous laisser devancer par d’autres initiatives qui viendront souligner cruellement votre inertie ».

J’ai su, depuis, que ces sociétés n’étaient pas demeurées inactives. Elles ont agi… à la française : elles ont fait des démarches auprès du gouvernement pour obtenir de lui la création de chaires officielles, d’abord à l’École des Beaux-Arts, ensuite au Conservatoire des Arts-et-Métiers. Partout elles ont rencontré l’indifférence, des résistances, peut-être des jalousies. Bref, elles se sont découragées.

Quant à s’émanciper, à faire quelque chose d’elles-mêmes et par leurs propres ressources, elles n’y ont pas songé. Nous sommes, en effet, un singulier pays. À tout instant, on signale, on dénonce les empiétements de l’État. On nous accuse, nous autres socialistes, de rêver d’enchaîner les initiatives, mais, lorsqu’une occasion se présente où les initiatives devraient être heureuses de se produire, on s’adresse à cette force redoutée, on implore l’État sauveur. S’il se dérobe, tout est paralysé et l’on ne pense pas à se passer de lui.

L’entreprise, dont nos architectes n’ont pas su assumer la direction, d’autres viennent de la mener à bien. Je l’ai laissé pressentir, je suis autorisé, aujourd’hui, à le proclamer. Demain, une École d’urbanisme sera ouverte à Paris. Nous saluons son apparition et nous remercions les Belges de nous la donner. Car cette école, qui nous sera si nécessaire, cette école qui se crée chez nous, nous la devons à l’initiative de la Belgique.

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Un architecte de Bruxelles, réfugié à Paris, M. Patris, avait reçu de son gouvernement la mission de préparer des plans pour la reconstruction d’une des villes belges ravagées par la guerre et soit dit, par parenthèses, cela aussi est un trait d’énergie et de prévoyance, dont nous pourrions tirer profit. M. Patris, en poursuivant ses études particulières, fut amené à envisager, dans leur ensemble, les problèmes qui se présentaient à lui. Il se pénétra de leur importance et reconnut qu’il serait utile de donner une initiation préalable à tous ceux de ses confrères qui seraient appelés à travailler, avec lui, à la résurrection de la Belgique. Il mûrit cette idée et, quand il lui eut donné une forme pratique, il alla visiter, au Havre, le ministre belge des Travaux publics, M. Helleputte, et s’ouvrit à lui. Il lui demandait, non pas la fondation, par l’État belge, d’une école officielle, mais l’appui et le concours du gouvernement pour soutenir une organisation privée. Il se trouva que le ministre, de son côté, avait des préoccupations analogues, qu’il y avait déjà réfléchi. L’entente se fit donc rapidement.

L’école, dont le principe venait d’être ainsi posé, aurait pu demeurer purement belge. Nous aurions eu la confusion de la voir fonctionner chez nous sans en tirer d’autre avantage direct qu’un exemple, que nous aurions mis encore bien des mois à imiter. Il a semblé à nos frères que ce serait, de leur part, faire œuvre égoïste, qui ne serait d’accord ni avec les sentiments ni avec les circonstances. Ils ont donc décidé que les portes de l’école seraient largement ouvertes et que les auditeurs français et belges y seraient également accueillis et traités sur le même pied.

Dans un semblable esprit, ils n’ont entendu se réserver ni la direction exclusive de l’école, ni la totalité de l’enseignement. Ils se sont donc adressés aux ressources françaises et, alors, par un miracle qu’il était facile de prévoir, ces mêmes, sociétés, ces mêmes personnalités qui gémissaient de demeurer inactives, mais qui n’avaient pas su, d’elles-mêmes, secouer leur torpeur, se sont offertes et se sont trouvées prêtes pour le travail dont l’occasion leur était à présent fournie.

Dès aujourd’hui, le patronage du Musée Social, de l’Association des Hygiénistes, de la Société des Architectes urbanistes est acquis à l’œuvre. D’autres concours sont sollicités, qui ne seront certainement pas refusés. Le comité exécutif qui, en ce moment, élabore les programmes et achève de mettre les choses au point est franco-belge ; il compte parmi ses membres, à titre de vice-président, M. Louis Bonnier, l’éminent artiste, dont mes lecteurs ont admiré le groupe scolaire de la rue Sextius-Michel et dont ils connaissent, les idées nettes, indépendantes et rationnelles. Parmi les professeurs figureront quelques-uns de nos spécialistes et techniciens les plus réputés.

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L’école supérieure des arts et industries appliqués à la reconstruction, pour lui donner le vocable officiel par lequel elle sera vraisemblablement désignée, recevra, sans doute, l’hospitalité du Musée Social. Elle ne saurait être mieux placée. Le Musée Social, depuis plusieurs années, a pris l’initiative, en France, des études urbanistes. Il a secondé les efforts de Charles Beauquier pour assurer la protection des sites et paysages. Par les soins de MM. Siegfried, Georges Risler, d’autres encore, il a organisé et publié de remarquables enquêtes. Naguère, quand l’éventualité de la suppression des fortifications risquait de livrer la périphérie de Paris à la spéculation, il a provoqué un mouvement salutaire d’opinion.

L’école nouvelle trouvera donc, au Musée Social, une atmosphère sympathique ; elle aura aussi à sa disposition une bibliothèque spéciale, dont elle trouverait difficilement ailleurs l’équivalent.

L’enseignement s’étendra à tous les problèmes de l’urbanisme. En attendant la publication prochaine du programme, qui viendra nous apporter des précisions, contentons-nous de dire que les questions théoriques – esthétique urbaine, histoire de l’urbanisme, conceptions et réalisations dans le passé ou à l’étranger – n’y seront pas oubliées. On y procédera à l’examen technique des difficultés de tout ordre que comporte l’établissement d’un plan : exigences économiques, nécessités de circulation, lois d’hygiène. Des exercices pratiques, des recherches d’applications dans des conditions particulières, précises, accompagneront l’enseignement général. L’étude des matériaux ne sera pas négligée.

L’école ne perdra pas de vue les besoins immédiats qui ont provoqué sa fondation. Elle ne cherchera pas à être une académie soucieuse de promulguer des dogmes. Elle se proposera une action directe, visera, avant tout, à être utile et s’appliquera à former des techniciens consciencieusement préparés à leurs devoirs futurs. Les circonstances l’obligent à agir vite. Elle ne s’adressera donc pas, tout d’abord, à des jeunes gens novices, à qui tout serait à apprendre et qu’il faudrait diriger pendant plusieurs années. De tels élèves lui seront agréables plus tard. Pour le moment, c’est aux architectes déjà formés qu’elle s’adresse.

Des hommes faits, des techniciens rompus à la pratique de leur art, des artistes réputés n’estimeront, sans doute, pas indigne d’eux de venir, comme au temps de leur jeunesse, s’asseoir dans un amphithéâtre, pour y être mis au courant de questions auxquelles ils avaient pu jusqu’ici rester étrangers et que les événements imposent à leurs préoccupations. Il n’appartient qu’aux ignorants de se refuser à reconnaître leurs faiblesses. Nous sommes persuadés que des architectes éminents donneront à leurs confrères le bon exemple. De tels élèves, confrères et émules de leurs maîtres temporaires, auront vite fait de s’assimiler les notions et les sentiments qui leur sont désormais nécessaires. Le jour venu, quand leur concours sera requis pour l’œuvre commune, ils seront prêts.

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Tel est l’avenir immédiat que nous souhaitons à l’école nouvelle. Nous sommes persuadés que son action ne sera pas éphémère. Des circonstances tragiques ont imposé son apparition, mais ces circonstances tragiques n’ont pas, en réalité, créé un besoin nouveau. Elles ont fait apparaître, avec une acuité imprévue, un malaise qui, depuis longtemps nous travaillait et dont les effets allaient s’aggravant sans cesse. Nos villes se sont développées, dans la période contemporaine, d’une façon extraordinairement rapide et elles l’ont fait en pleine anarchie. Tôt ou tard, la nécessité de l’organisation nous serait apparue. La guerre nous le révèle : il conviendra de ne plus l’oublier. C’est pourquoi, nous en sommes assurés, un long avenir est réservé à l’école, dont nous entourons le berceau. Elle est destinée à se dédoubler. Le triomphe de la justice et du droit la partagera, entre Bruxelles et Paris. En Brabant comme sur les bords de la Seine, elle constituera un organisme permanent.

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On raconte que, pendant la seconde guerre punique, au moment où Hannibal menaçait Rome, on vendait un jour aux enchères, sur le Forum, un champ, sur lequel, à cette même heure, campait l’armée carthaginoise. Nous donnons, en ce moment, le spectacle d’une constance semblable.

La Belgique, presque toute submergée, réduite à quelques plaines désolées par l’inondation et l’incendie, étudie, avec sérénité, avec une confiance absolue, la réorganisation de son territoire libéré, et nous nous associons à elle dans un semblable dessein et avec un pareil espoir, aux jours où, plus furieuse que jamais, la vague barbare déferle sur les forts de Verdun.

En post-scriptum : « On nous annonce la réouverture très prochaine et, cette fois-ci, à Paris, du musée du Louvre. Les salles de sculpture, pour commencer, seraient rendues au public qui serait alternativement admis à visiter la sculpture ancienne et la sculpture moderne ».

« Une commission d’art liturgique a ouvert un concours en vue de reconstituer le mobilier liturgique des églises détruites. Les œuvres récompensées, ainsi que des projets de salles de culte provisoire sont exposés, jusqu’au 19 mars, au musée des Arts décoratifs, au Pavillon de Marsan, 107, rue de Rivoli. L’effort est intéressant et mérite qu’on l’examine ».

« Une exposition de l’art pendant la guerre s’ouvrira, à Genève, en avril prochain, au bénéfice des  œuvres de guerre des Alliés et des Suisses combattant dans les rangs français. Les artistes français qui désirent y participer peuvent déposer leurs envois, avant le 15 mars, au Pavillon de Marsan. Le secrétaire général de l’exposition est notre confrère Étienne Clouzot. […] ».