code_galerie Chroniques de l"Humanité, Site Léon Rosenthal

 

 

Léon Rosenthal, militant, critique et historien d'art

La restauration des foyers. Quelques conseils (I), L’Humanité, « L’Actualité artistique », 6 mars 1916, p. 3.

Au moment d’aborder l’étude de la restauration des foyers détruits par la guerre, je me suis senti arrêté par une difficulté assez grave. Je m’adresse à des lecteurs qu’unissent de semblables convictions ou, tout au moins, de semblables aspirations sociales, mais qui se trouvent placés dans des conditions matérielles très différentes. Pauvres ou aisés, manuels ou intellectuels, habitants des villes, des bourgs ou des villages, ils ne peuvent, évidemment, pas envisager d’une façon uniforme l’organisation du cadre dans lequel ils seront appelés à vivre. Si je me préoccupe d’un groupe, je cesse, naturellement, d’intéresser les autres. Les prolétaires, obligés de se priver même du nécessaire, renonceront à lire des lignes où seront discutés les principes d’un luxe même modeste. Des lecteurs aisés ou riches ne s’attarderont pas à la recherche des moyens pour lutter contre la misère. Le citadin ne songera qu’à son logement et le paysan qu’à sa maison. Entre ces catégories, pourtant, je ne veux ni ne puis faire un choix. Mon désir est de parler pour tous et, dans la mesure de mes moyens, d’être utile à tous. Mais comment trouver un langage qui soit entendu dans tous les milieux ?

J’y ai réfléchi quelque temps ; je me suis dit que l’on pourrait, peut-être, traiter l’esthétique domestique comme la morale. Les règles morales ne sont pas faites pour des catégories déterminées d’individus ; elles ne souffrent pas d’exception. « Tu ne voleras pas » est une loi qui concerne le prolétaire affamé qu’attire un morceau de pain et le grand industriel tenté de frauder sur la qualité de ses produits ou de rogner sur le salaire de ses ouvriers. Seulement, selon les cas, la loi est d’interprétation et d’application plus difficiles.

J’ai donc cherché des préceptes esthétiques, préceptes très simples, très généraux naturellement, puisqu’ils prétendraient à être universels, assez substantiels, cependant, pour que chacun gagnât à les méditer. Je suis arrivé, ainsi, à quelques formules. Elles sont élémentaires, incomplètes, je le sais, dépourvues de toute originalité. Je vous les livre, tout de même, comme un témoignage de bonne volonté.

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La première règle, et, à mes yeux de beaucoup la plus importante, pourrait s’énoncer ainsi : Soyez vous-même. À première vue, cette recommandation ne paraît pas bien nécessaire. À la réflexion, vous vous apercevrez qu’en réalité il n’est pas de loi qui soit moins observée. Soyez vous-même lorsque vous ferez rebâtir votre maison, lorsque vous ferez élection d’un appartement, lorsque vous achèterez un lit, des rideaux, de la vaisselle ou une image pour suspendre à la muraille.

Soyez vous-même, c’est-à-dire ne vous laissez pas guider par le désir de faire comme votre voisin, de lutter avec un plus riche que vous. N’achetez jamais rien pour imiter ou pour éblouir. Songez bien que ce que vous achetez est pour vous. Votre lit, votre table sont destinés à votre usage. C’est là leur mission, et ils l’accompliront, bien ou mal, selon que vous vous serez préoccupé ou non, en les achetant, du rôle qui leur était dévolu.

Ayez donc le courage de les choisir vous-même, de n’obéir qu’à votre goût. Ceci ne veut pas dire : écoutez votre caprice. Choisissez-les selon votre goût réfléchi : vous êtes le seul à connaître vos ressources et vos besoins. N’écoutez pas, cela s’entend, les conseils intéressés du marchand. Le marchand travaille pour son propre bien et, à supposer, par miracle, qu’il voulût faire le vôtre, il en serait très embarrassé : car il ne sait pas ce qu’il vous faut. Sait-il si votre appartement est grand ou petit, si vous avez une famille nombreuse, connaît-il vos occupations, a-t-il jeté un coup d’œil indiscret sur votre bourse ? Demandez au marchand si l’article qu’il vous offre est solide, s’il est d’un entretien facile, s’il peut se réparer à l’occasion et qui se chargera de la réparation, demandez-lui s’il résistera au soleil ou à l’humidité. Sur tout cela il peut vous répondre et vous pouvez vous guider sur ses réponses. Mais, s’il vous affirme que tel objet vous convient, ne l’écoutez pas : il n’en sait rien. Nul ne peut le savoir, sinon vous.

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Mon voisin a un lit en acajou. – Tant mieux pour lui ! Je serais désolé de l’en blâmer. S’il s’en trouve bien, c’est son affaire. Mais est-ce une raison pour l’imiter ? Votre voisin a, probablement, des loisirs pour frotter son acajou et le faire briller. Son lit est, je le suppose, à l’abri des chocs ; point de poêle dans la chambre, dont l’ardeur puisse faire jouer ou éclater le bois. Pourrez-vous entourer votre acajou des mêmes soins ? Votre voisin, d’ailleurs, a d’autres meubles qui tiennent compagnie à son lit. Pourquoi l’imitez-vous sur ce point ? Permettez-moi une question indiscrète : est-ce pour faire comme votre voisin que vous lisez l’Humanité ? Est-ce à son exemple que vous avez adhéré au Parti socialiste ? Est-ce pour lui faire plaisir que vous militez dans votre syndicat ? Et, quand vous vous êtes marié civilement, était-ce par esprit d’imitation ? Toutes ces déterminations importantes, vous les avez prises par vous-même, après un examen réfléchi. Non seulement, vous n’avez pas cherché à suivre l’exemple des autres, mais vous vous êtes exposé au blâme, à la raillerie. Pour affirmer et défendre vos idées, vous bravez les persécutions. Pourquoi n’avez-vous pas la même indépendance quand il s’agit de meubler votre maison ?

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– Ma femme enrage : son amie étale sur sa cheminée une jardinière magnifique. Comment pourrions-nous vivre désormais sans jardinière ? Justement, ma femme en a découvert une. Il est vrai qu’elle coûte très cher et qu’il faudra se serrer pour l’acheter ; il est vrai, encore, qu’elle n’est pas neuve et qu’elle n’est pas tout à fait aussi belle que l’autre, mais ma femme assure qu’en l’astiquant elle fera tout de même son petit effet.

– Votre femme vous fait faire une sottise et vous le sentez bien. Consolez-vous, si c’est vraiment un sujet de consolation, en pensant que presque tous nos contemporains de la même façon qu’elle.

Nous sommes un peuple épris de liberté ; nous avons fait je ne sais combien de révolutions ; nous avons chassé nos rois et annulé notre noblesse. Nous affichons des idées démocratiques. Mais, à regarder de près, il n’est pas de pays où les mœurs soient moins démocratiques que le nôtre.

Les bourgeois, qui triomphaient des nobles, se sont empressés de les singer. Ils ont copié leurs installations, leurs habitudes, leur luxe. Vous vous rappelez César Birotteau, le parfumeur dont Balzac a conté la prospérité et la chute. César Birotteau s’est ruiné pour avoir voulu donner à danser dans son hôtel, comme le faisaient jadis les gens bien nés. D’autres, plus habiles que César Birotteau, donnent des bals et ne se ruinent pas. Les petits bourgeois, à leur tour, se sont empressés à imiter les banquiers et les industriels. De proche en proche, chacun regarde de plus fortunés que lui et voudrait leur ressembler.

Le résultat est facile à deviner. Faute de pouvoir copier la réalité, on se rabat sur les apparences. On donne des réceptions comme madame Une Telle ; mais on se passe ensuite de dîner. Pour une heure de faux luxe, on se prive du confortable. À défaut de loutre, on porte du lapin, à défaut d’acajou, on achète du plaqué. Le bronze est remplacé par le « zinc d’art ». Nous vivons dans le siècle de l’instar et du simili. Cela entraîne, au point de vue moral et social, des conséquences que je n’ai pas à développer. Au point de vue artistique, cela est déplorable. En matière d’art appliqué, la première beauté vient de l’adaptation aux besoins. Celui qui, en s’installant, vise à créer un décor trompeur, ne peut pas faire œuvre de beauté. Ajoutez qu’au fond, il ne trompe personne et que l’imitation, avec des moyens insuffisants et sans ressemblance intime, aboutit nécessairement à la parodie.

Vous savez fort bien ce que c’est que d’être « endimanché ». Soyez vous-même ; constituez votre intérieur, confortable ou pauvre, selon votre vie, selon vos véritables besoins. C’est le premier pas dans la voie de la beauté. Ai-je trop insisté sur ce précepte primordial ? Je suis loin, pourtant, d’en avoir épuisé la substance. Je serai plus bref pour les règles suivantes dont l’objet est plus particulier et que nous aborderons au prochain jour.

En post-scriptum : « L’exposition de la Triennale qui s’est ouverte dans la salle du Jeu de Paume, aux Tuileries, réunit des œuvres de la plupart des artistes qui, avec les tendances les plus diverses, se sont partagé, dans ces dernières années, la faveur du public ou des amateurs. À quelles aspirations répondaient-ils ? Ces aspirations, la guerre va-t-elle les abolir, les exalter ou les transformer ? Autant de problèmes que cette exposition suggère et sur lesquels nous reviendrons peut-être ».

« […] les salles de sculpture du Moyen Âge, de la Renaissance, de l’époque moderne et contemporaine sont désormais rouvertes au Louvre. Leur accès est libre, tous les jours, sauf le lundi, de 11 à 16 heures. Une visite dans ces salles peut être dictée par le seul agrément et il y a toujours plaisir et bénéfice à se promener dans une atmosphère d’art. Mais le plaisir s’agrandit lorsqu’il s’accompagne de discernement. On peut à la rigueur, sans étude préalable, parcourir les salles où sont exposées les œuvres du XVIIIe et du XIXe siècles. Pour les périodes antérieures, ceux qui les aborderons sans préparation seront vite désorientés et, j’en ai peur, découragés. J’essaierai, à la suite de mes prochains feuilletons, toutes les fois que la place me le permettra, de donner quelques indications sommaires qui, sans aucune prétention, pourront servir de guide élémentaire à travers les salles que l’on vient de nous ouvrir. Le musée de sculpture comparée, au Trocadéro, sera rouvert au début du mois d’avril ».

Exposition de la Cité reconstituée

L’exposition de la Cité reconstituée aura lieu de mai à juillet aux Tuileries. Cette exposition est organisée par l’Association générale des hygiénistes et techniciens municipaux, avec le concours de délégués du Comité de patronage des habitations à bon marché du département de la Seine, de la Société centrale des architectes, de la Société des ingénieurs civils, de l’Association provinciale des architectes français, de la Société des artistes français, de la Société nationale des Beaux-Arts, et elle a obtenu les plus hauts patronages.

Cette exposition comporte une section importante d’habitations toutes construites et meublées qui serviront de modèles pour la reconstruction des villes. Le Comité fait appel aux industriels français qui, en participant à cette exposition, montreront au monde que notre industrie possède toute sa vitalité après dix-huit mois de guerre.

Pour tous renseignements, s’adresser : 16, rue Taitbout, Paris.