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Léon Rosenthal, militant, critique et historien d'art
L’exposition qui vient d’ouvrir sur la terrasse du Jeu de Paume, aux Tuileries, répond à des préoccupations dont j’ai souvent entretenu mes lecteurs : comment hâter, au lendemain de la guerre, la reprise de la vie normale dans les régions envahies et dévastées, comment assurer la résurrection et l’amélioration rationnelle des cités détruites ?
Les chalets, pavillons, baraquements qui s’offrent à la curiosité des visiteurs s’efforcent de répondre au premier de ces problèmes. On ne les examinera pas comme s’ils avaient été conçus pour faire valoir le talent des architectes ou pour notre agrément et sans égard pour la dépense engagée. Ce sont des abris provisoires, il faut les étudier comme tels, sans perdre de vue le programme complexe, précis, particulièrement délicat proposé à leurs constructeurs.
Abris provisoires, il faut qu’ils puissent être édifiés en quelques jours, qu’ils soient peu coûteux. Ils doivent offrir aux familles un asile hygiénique, suffisamment confortable ; on exige, encore, qu’ils puissent durer plusieurs années, résistant au chaud, au froid, aux intempéries, tandis que se prépareront les constructions définitives. Ces difficultés seraient considérables en tout temps, les circonstances présentes les aggravent. Les matériaux vont être très coûteux, très rares, quelques-uns, comme le fer ou la pierre, feront, d’abord, presque défaut. Les transports seront difficiles. La main-d’œuvre qualifiée manquera. Il a donc fallu recourir à des matériaux demeurés abondants, d’un prix abordable, légers à cause des transports. On propose la brique, le bois en poutres, en panneaux contre-plaqués, le fibro-ciment, le ciment ou le béton armé, des agglomérés, le carton imprimé. On trouvera, sur la terrasse qui domine la rue de Rivoli, des exemples de ces différents matériaux, dont les techniciens pourront discuter la résistance et la durée.
Il a fallu, d’autre part, imaginer des systèmes d’assemblage très simple susceptibles d’être confiés à des ouvriers improvisés. La plupart des modèles proposés, sortiront des usines aux trois-quarts assemblés, il n’y aura plus qu’un dernier travail sommaire de mise en place. Quelques-uns sont démontables, ce qui permettra de les transplanter, de les revendre s’ils ont perdu leur utilité avant d’être hors d’usage, ou de leur attribuer une destination ultérieure. C’est dans ces conditions qu’on a imaginé des usines provisoires (terrasse de la rue de Rivoli), des écoles (terrasse de la place de la Concorde), tout un village que doit compléter une église due au talent de M. Placide Thomas (terrasse du Nord).
De semblables données excluent-elles toutes recherches de beauté ? Non, certainement : la construction la plus nue peut prendre une haute valeur par l’usage rationnel des matériaux, la satisfaction intelligente des besoins, un choix heureux des proportions, la coloration. Je ne dis pas que tous les constructeurs se soient préoccupés de cette harmonie autant qu’il eût été possible de le faire. Pour la couleur, en particulier, dont la gamme peut être variée sans aucun frais supplémentaire, et qui est un élément essentiel, le seul, peut-être, en l’espèce, de gaieté et de vie, on a trop peu cherché et l’on s’en est tenu, trop souvent, à ce fameux brun que l’on qualifiait jadis d’administratif et dont nos administrations commencent, fort heureusement, à se délivrer.
Il y a certainement, au point de vue art, un effort nouveau à donner. Si l’on veut se rendre compte de ce qu’il est possible, avec du talent et du soin, de créer à l’aide du bois, de carreaux de plâtre et de carton comprimé, on examinera le remarquable pavillon que M. Sorel a édifié sur l’angle de la terrasse, au coin de la rue de Rivoli et de la place de la Concorde. Le programme qu’il avait à réaliser est, sans doute, particulier, car il s’agit d’un abri pour une famille riche, mais, si la disposition intérieure diffère, la beauté extérieure n’est recherchée par aucune superfétation coûteuse. C’est l’étude des profils et des proportions, l’affirmation de la structure, le jeu des colorations qui la déterminent et cet exemple heureux rayonnera, il faut l’espérer, sur l’exposition tout entière.
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La science de l’aménagement des villes n’est pas nouvelle en France, et, sur ce point, du moins, nous n’aurons pas à improviser. Les salles du Jeu de Paume offrent un ensemble de documents dont le rapprochement est éminemment instructif. On y verra les plans primés dans les concours internationaux, pour Barcelone, par Jaussely ; pour Yas Cambera future capitale fédérale de l’Australie, par Agache, les plans d’aménagement de villes françaises, exécutés avant la guerre : plans de Dunkerque (Agache), de Lyon, projet de transformation des fortifications de Paris. Tous ces travaux sont exposés dans la grande salle de droite. Des architectes ont essayé de retrouver la physionomie des cités antiques : plan de Sélinonte, par Hulot; reconstitution de Rome par Bigot; du Forum romain, par Jaussely (ce dernier travail dans la salle du 1er étage). Dans la petite salle de droite, on attachera un particulier intérêt aux idées ingénieuses et hardies de M. Hénard sur l’aménagement de Paris et l’avenir des cités.
Ainsi préparés, nos architectes ont pu envisager, sans retard, la restauration rationnelle des villes détruites. Le projet, pour Clermont-en-Argonne, par Redont; les deux projets, pour Reims, par Ricard et Redont, retiendront l’attention, ainsi que le travail sur Arras, par Couturaud, travail exécuté avant la guerre, mais auquel la guerre donne une terrible actualité. Des projets conçus par des architectes belges, en particulier pour Ypres, témoignent de l’énergie et de l’espoir indomptable de nos héroïques alliés.
À côté de ces plans d’ensemble, l’exposition présente des idées, non moins intéressantes, sur des objets plus particuliers. Nos amis y verront, avec plaisir, le plan de Paris-Jardins, par Walter ; ils étudieront aussi le projet de cité industrielle par Tony Garnier ; les jardins de Redont, les abattoirs de Lyon (Tony Garnier) et admireront les maquettes de fontaines de Pierre Roche.
J’en ai dit assez pour montrer l’intérêt sérieux de l’exposition de la Cité reconstituée. J’ajoute qu’une série très complète de conférences et de conférences-promenades, dont le programme sera prochainement publié, aidera le public dans ses investigations et augmentera la portée d’une manifestation où se prépare une des œuvres les plus importantes de l’après-guerre
En post-scriptum : Au Musée des Ars décoratifs, au Pavillon de Marsan (170, rue de Rivoli), une double exposition : exposition de reliures et de papiers de garde dans lesquels éclate la supériorité du Japon, dont nos artistes s’inspirent sans l’égaler – Exposition importante, brillante, de jouets nouveaux. On y verra des jouets luxueux, d’un art raffiné, parfois un peu artificiel, et des jouets populaires fabriqués par des ateliers paysans, en particulier par une association, le Jouet d’Auvergne. Il faut mettre hors de pair, non seulement à cause du caractère de l’œuvre, mais aussi à cause de la valeur artistique de sa production, l’exposition des jouets sculptés par M. Le Bourgeois, peints par MM. Rapin et Jaulmes et exécutés par des mutilés de guerre. Il y a là des animaux en bois qui sont de véritables bibelots d’étagère, tout en ayant l’éclat, la simplicité, la naïveté qui plaisent aux enfants. Les prix sont très abordables : il y a des canards à neuf sous ; pour 1 fr. 50 ou 2 francs, on trouve des jouets magnifiques. La salle où sont exposés ces jouets, aménagée comme une grande volière ou comme une ménagerie, réjouira les petits et les grands ».
« On revoit, avec plaisir, chez Bernheim jeune, 15, rue de Richelieu, un groupe d’artistes d’avant-garde, Mmes Agutte, Chauchet-Guilleré, Lucie Cousturier, MM. Deltombe, Peské, C. Raymond, Roussel, Signac… et le maître belge Van Rysselberghe, dont le portrait du grand poète Verhaeren vient de prendre place au musée du Luxembourg ».
Sous la direction de notre excellent confrère M. Goutière-Vernolle, vient de paraître une revue bi-mensuelle, Le Foyer de demain, qui se consacre à l’étude des problèmes de finances, d’hygiène, d’économie politique, de législation et d’art que suscitera la reconstruction des villes (25, boulevard Pasteur). […] ».
« Guide élémentaire aux salles de sculpture du Louvre (III). – Après avoir étudié, dans la salle IX, les débuts et les progrès de la sculpture romane, nous verrons, dans cette même salle, l’épanouissement de cette sculpture au cours du XIIe siècle. Admirons le Saint Michel, qui vient de Nevers, et, surtout, la magnifique Annonciation aux Bergers, nouvelle acquisition du Louvre, et qui provient de Notre-Dame-de-la-Couldre à Parthenay-le-Vieux ; le réalisme, la vérité de ce groupe ne sauraient manquer de nous frapper. Le grand Christ en bois qui vient de la collection Courajod, la Vierge et l’Enfant, exposés dans une vitrine au milieu de la salle, nous montreront le travail du bois, la polychromie et nous feront méditer sur le caractère austère de la religion de cette époque. Les deux colonnes torses qui viennent de l’abbaye de Colombes et qu’on voit, au milieu de la salle, de chaque côté de la vitrine de la Vierge, avec leurs entrelacs, leurs rinceaux, les monstres qui y sont figurés nous expliqueront le goût ornemental roman. Enfin, deux graves et longues statues de Salomon et de la Reine de Saba, qui viennent de Corbeil, ont une intention monumentale qui dicte leurs proportions. Quelques têtes de statues dans le retrait de la fenêtre de la salle II et quelques chapiteaux exposés dans cette salle complèteront, au Louvre, notre initiation à la sculpture romane. Cette initiation, nous l’achèverons très prochainement, avant de passer à l’étude de la période gothique, par une promenade au musée du Trocadéro ».