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Léon Rosenthal, militant, critique et historien d'art
Jeudi dernier, l’École alsacienne avait organisé une vente au bénéfice des enfants des territoires envahis, et, par une particularité heureuse, tous les objets proposés à la générosité des visiteurs avaient été conçus et exécutés par les élèves de l’École. En même temps, on exposait quelques-uns des travaux faits au cours de dessin, sous la direction intelligente de M. Relbache et de M. Testard, leur collègue, le délicat peintre Renaudot étant mobilisé.
Sous sa forme modeste et trop brève, cette manifestation dépassait infiniment son objet immédiat. À ceux qui, naguère, se passionnaient pour la réforme de l’enseignement du dessin, elle montrait que, pendant la tourmente, le travail de rénovation se poursuivait fructueux et s’ils avaient toujours pensé que cet effort aurait la répercussion la plus heureuse sur l’industrie nationale, elle leur confirmait des espoirs auxquels les circonstances donnent une importance nouvelle.
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L’exposition de Lyon qui, à peine inaugurée, fut brusquement interrompue, en août 1914, par la guerre, devait être, pour la méthode nouvelle de dessin, l’occasion d’un triomphe décisif. Dans une grande salle avaient été réunis des témoignages empruntés à toutes les régions de la France et à tous les degrés de l’enseignement primaire. Balbutiements des bambins de l’école maternelle, dessins ingénus faits dans les premières classes de l’école primaire, vision élargie et main plus sûre chez leurs aînés, travaux remarquables accomplis par les élèves, garçons et filles des écoles normales, il y avait là l’ensemble le plus suggestif et le plus probant.
Il prouvait l’efficacité d’une méthode qui ne s’appuyait pas sur des conceptions théoriques ou abstraites, mais qui dérivait de la connaissance psychologique de l’enfant. Cet enfant, contrarié jusqu’alors dans ses instincts, dont on s’ingéniait à réprimer les intimes tendances et que l’on parvenait à dégoûter du dessin par des exercices monotones et ennuyeux, cet enfant, dis-je, s’épanouissait sous une direction qui respectait et qui favorisait la vie. Il aime griffonner et barbouiller et voilà qu’on met entre ses mains des crayons et des couleurs. Il essaye de copier ce qui lui est familier et on lui propose comme modèles : une fleur, une tasse, son propre chapeau, son encrier, sa gibecière. Son imagination vagabonde l’incite à représenter les scènes possibles et impossibles qui frappent son esprit et, au lieu de le punir parce qu’il cède à l’appel de la vie, on prend au sérieux ses images, on lui suggère des sujets.
Le petit être grandit selon la volonté de la nature, mais non point livré à lui-même, ni abandonné. Le maître est toujours présent et, s’il a renoncé à user de contrainte, son rôle n’en est pas moins efficace. Il intervient pour canaliser les forces instinctives ; il les empêche de disparaître comme des fleurs sitôt étiolées, il les nourrit, les enrichit. Le choix et la progression des modèles et des exercices, des conseils judicieux donnés à chacun, suivant son âge et sa personnalité, voilà les moyens dont ils dispose pour réaliser, chez l’enfant, l’union délicate des facultés d’imagination, d’observation, de rêve et de précision.
L’exposition de Lyon montrait quelles admirables ressources, trop longtemps négligées, offre le génie instinctif de la France. De toutes parts, sous l’impulsion d’instituteurs que M. Quénioux, l’apôtre de la nouvelle méthode, a instruits et auxquels il a communiqué sa foi, se manifestent un goût spontané, un sentiment inné de l’élégance et de la mesure. Le gamin, qui peint une fleur familière, y affirme un véritable sens d’artiste. Il est bien l’héritier de ces artisans dont les travaux naïfs et raffinés font encore notre admiration. Comme eux, il donne à ce qu’il fait un accent de terroir ; le caractère de son dessin, l’intensité de sa couleur varient d’une région à une autre. Ici le chardon, là la vigne, ailleurs l’algue l’inspirent. Comme ses devanciers, il est, partout, doué des qualités les plus précieuses.
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Que de tels éléments puissent concourir à une magnifique renaissance de nos industries d’art, l’exposition de Lyon ne se contentait pas de le suggérer ; elle le démontrait de la façon la plus immédiate. À côté des dessins, on y avait rassemblé des broderies, des dentelles, des bois sculptés, des papiers peints, des assiettes, des roses, des vitraux mêmes, exécutés d’après des dessins d’écoliers et, parfois, par les écoliers eux-mêmes. Tous ces exemples étaient intéressants, quelques-uns étaient comparables aux meilleurs travaux de nos décorateurs.
Bien que contrariée par la guerre, l’impulsion ne s’est pas ralentie. Les écoles primaires sont, dès à présent, prêtes pour leur part, à l’œuvre de demain. Le grand problème est de savoir si les forces écloses à l’école primaire ne seront pas, ensuite, méconnues ou gaspillées. C’est pourquoi il est urgent de régler cette question de l’apprentissage dont l’importance éclate à tous les yeux. Demain, nous pourrons avoir une main-d’œuvre d’élite et reconquérir, pour nos industries d’art, le marché du monde.
Il y faudra encore autre chose. Il ne suffit pas d’avoir des excellents artisans. Il est nécessaire que les classes riches ne demeurent pas inférieures aux classes populaires et qu’elles sachent employer, avec discernement, les forces de direction et de consommation dont elles disposent. L’industriel, l’acheteur doivent avoir le goût exercé. À l’heure actuelle, ils manquent trop souvent à ce devoir. Les générations nouvelles seront mieux informées. Sous la direction de M. Alfred Lenoir, la réforme du dessin s’est accomplie dans les lycées et collèges. La petite exposition de l’École alsacienne montre le même esprit et les mêmes qualités qui fleurissent à l’école primaires. J’y salue, avec une joie particulière, les menus objets : napperons, boîtes, assiettes, verres décorés par les enfants. Une des grandes causes de l’infériorité artistique et des préjugés de la bourgeoisie vient de l’ignorance et du mépris où elle vit du travail manuel. Le jour où de petits bourgeois auront quelque peu œuvré, ils apprendront bien des choses et, parmi elles, le respect du travail. Ce ne sera pas là un gain négligeable dans la tâche d’après guerre pour laquelle seront requises la collaboration de toutes les intelligences et l’union de toutes les volontés.
En post-scriptum : « Le Palais de la Malmaison est rouvert et présente, outre son intérêt ordinaire, une importante collection de papiers peints de 1793 à 1820, collection formée par M. Ch. Follot et qui attirera particulièrement les dessinateurs ».
« On vient d’installer au Petit Palais deux magnifiques séries d’œuvres offertes par M. Zoubaloff, dont la générosité à l’égard de nos musées s’est déjà plusieurs fois manifestée. C’est, d’abord, un ensemble de trente-neuf pièces dues au maître ciseleur Henri Husson qui mourut en décembre 1914, œuvre de beau métier, d’une imagination originale, avec des effets de coloration très particuliers empruntés aux oppositions des métaux et des patines. Ce sont, ensuite, des vases et plats modelés par le grand sculpteur Desbois avec une souplesse grasse, une ampleur et un sens de la décoration admirables. Nos artisans auront plaisir et profit à méditer devant ces travaux exemplaires ».
« Chez Bernheim jeune, 15, rue Richepanse, intéressante exposition d’un groupe d’artistes, parmi lesquels Henri Dumont, Hermann-Paul, Alice-Adèle Kleinmann, Lacoste, Lebasque, Luce, Renaudot et Vuillard ».
« Guide élémentaire au Musée de sculpture comparée du Trocadéro (I). – Le Musée du Trocadéro est, à l’heure actuelle, rouvert pour la plus grande partie. En tout cas, tous les documents de l’époque romane que nous venons, d’abord, d’y étudier sont à la disposition du public. Ces documents sont exposés dans la première travée de l’aile orientale et dans les trois premières travées de l’aile occidentale. Ils sont tous accompagnés d’une étiquette qui indique leur date et leur provenance. Il est donc possible, même sans guide, d’en faire une étude fructueuse. On remarquera d’abord leur abondance : ils sont très nombreux et ils ont tous de l’intérêt. On en conclura que le XIIe siècle, auquel ils appartiennent presque tous, fut une période inspirée et féconde. On remarquera qu’ils proviennent de toutes les régions de la France, que, tout de même, le Nord et la Normandie y sont moins représentés, tandis que l’Auvergne, la Bourgogne, le Languedoc, l’Ouest et la Provence y apparaissent en plein épanouissement. Ces monuments ont, presque tous, un caractère religieux. Les sujets représentés sont religieux ou symboliques. Quelques-uns sont d’interprétation difficile ou contestée. D’autres se lisent facilement. On reconnaîtra le Jugement dernier, l’Annonciation, l’Adoration des Mages ou les travaux des mois. Il y a plusieurs styles et de grandes différences de conception plastique et d’exécution. Si l’on essaye de faire un classement d’écoles, on n’y parviendra pas facilement. En effet, il y a eu quelques centres très individualisés et plusieurs régions soumises à des influences multiples. Il ne faut pas espérer réduire à des groupes simples une époque qui a été très complexe. Ce serait en dénaturer l’esprit. Il est pourtant possible de discerner quelques tendances dominantes et voici comment l’on pourra ordonner sa visite. L’Auvergne a eu une floraison de sculpture massive, trapue, très expressive. Examiner (aile orientale) les chapiteaux venant de Notre-Dame-du-Port de Clermont, et qui représentent le Péché originel, la vie de la Vierge, et le chapiteau de l’église de Mozat où sont figurées les saintes femmes au tombeau du Christ. La Bourgogne a eu une sculpture vivante, gesticulante, avec des formes démesurément longues, des draperies à petits plis collants que nous avons déjà reconnus au Louvre. Étudier le portail de Vézelay (aile orientale) qui est la page la plus caractéristique de cette école, et (dans la même salle) le Jugement dernier d’Autun et encore le portail de l’église Sainte-Croix de La Charité qui en dérive ».