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Léon Rosenthal, militant, critique et historien d'art
Une œuvre sociale et esthétique. La solution de l’apprentissage.
Hier samedi c’était fête à la mairie de la place Gambetta. Au milieu d’un public nombreux, on inaugurait la deuxième exposition organisée par le Comité de direction des apprentis du vingtième, en présence du citoyen Marcel Sembat, ministre des travaux publics et de M. Albert Métin, ministre du travail, qu’accompagnaient. M. Mithouard, président du Conseil municipal les citoyens Théo-Bretin, Demoulin, Dejeante, députés ; Loyau, Reisz, conseillers municipaux, et de nombreux militants du Parti et des syndicats, Dubreuilh, Camélinat, Braemer, Aulagnier, Millerat, Grandidier, etc.
Après quelques mots de bienvenue de M. Karcher, maire, le citoyen Sembat et M. Métin exprimèrent la satisfaction qu’ils ressentaient en constatant les excellents résultats obtenus par nos camarades du vingtième. Puis eut lieu la visite des différents stands, sous la conduite du camarade Prêté, qui présenta aux ministres les professeurs et maîtres-ouvriers du Comité. Les félicitations, les applaudissements que recevaient organisateurs, professeurs et élèves récompensaient un effort tout à fait remarquable, d’une haute portée sociale et artistique, effort qui doit être connu de tous et qui mériterait d’être partout imité.
Nos lecteurs savent comment fut créée l’œuvre du vingtième. Au début de la guerre, l’homme de bien, au grand cœur et à la généreuse pensée qu’était Edouard Vaillant, eut l’idée d’arracher les jeunes gens sans travail au désœuvrement et à la paresse, mauvaise conseillère il voulut profiter de leur chômage même pour parfaire leur éducation d’ouvriers et il résolut de les grouper dans des ateliers-écoles. L’appui du maire, M. Karcher, qui, en toute occasion, a prodigué sa sympathie active à cette entreprise, le concours effectif du Secours National, qui accorda une subvention, le dévouement d’artistes de talent et de maîtres-ouvriers, qui offrirent leurs conseils et leurs leçons à titre bénévole, permirent de réaliser le projet de Vaillant. La Bellevilloise et quelques industriels prêtèrent leurs locaux. Le 20 octobre 1914, les ateliers étaient ouverts, les demandes d’inscription affluèrent à certains moments, plus de 450 élèves se trouvèrent réunis. Aujourd’hui, malgré la reprise du travail, ils sont encore plus de 200. A côté des jeunes gens, les jeunes filles, depuis mars 1915, sont admises. La Ville de Paris, en présence de ce succès, a mis à la disposition du Comité, deux ateliers de préapprentissage, confortablement outillés, installés dans des locaux scolaires, et y a délégué des maîtres-ouvriers expérimentés. Excellente par son principe et son idée directrice, l’œuvre du Comité de direction, dont notre camarade Henry Prêté est le secrétaire général, n’est pas moins recommandable par les méthodes qui y ont été appliquées. Dans les douze ateliers qui se partagent les élèves, quel que soit le métier envisagé, l’apprentissage est dirigé pour donner au futur ouvrier une capacité technique complète. Il ne suffit pas que sa main devienne habile et qu’il soit capable d.’exécuter des travaux compliqués. Pour qu’il mène, demain, une existence d’homme, pour qu’il puisse faire respecter sa dignité, il faut qu’il ait l’intelligence de tout, ce qu’il accomplit. C’est pourquoi on ne lui apprend rien, sans l’obliger à se rendre compte de son travail. La base de tout l’enseignement est le dessin. D’abord, dessin d’après nature, qui oblige l’enfant à regarder, à voir, à comprendre et ensuite à traduire, puis à interpréter pour des applications décoratives. On admirera des dessins d’après des poissons, des oiseaux, des fleurs, obtenus sous la direction de M. Grether.
Par la suite, dessin technique. Qu’il s’agisse de former menuisiers ou serruriers, la règle est la même. La journée est divisée en deux parties l’une pour la théorie, l’autre pour l’exécution. M. Serre, qui enseigne la menuiserie et M. Pollet qui dirige les mécaniciens, obtiennent ainsi des résultats admirables. Pas une pièce, que l’apprenti n’ait d’abord dessinée, dont il n’ait établi, par la géométrie descriptive, l’exacte structure. J’engage à examiner avec le plus grand soin, la progression des exercices exposés par ces deux ateliers. Il serait à souhaiter que tous les ouvriers, je dis plus, que tous les patrons aient les connaissances que manifestent ces apprentis, dont les plus anciens ont dix-huit mois d’étude. Je voudrais aussi que les élèves des lycées, si persuadés de leur supériorité, viennent prendre ici une leçon d’intelligence sociale. Les mêmes principes sont appliqués dans les ateliers de couture et l’on remarquera, sur des tabliers, des broderies que les jeunes filles ont dessinées elles-mêmes, sous la direction de Mme France Raphaël.
Une douzaine de jeunes gens ou jeunes filles, particulièrement doués, ont été réunis par M. Dussouchet, qui les initie à l’art décoratif. M. Dussouchet est un excellent peintre, à la vision ample et noble, dont j’ai souvent signalé les compositions, d’un caractère monumental. Il s’est révélé parfait éducateur. Il développe, au contact de la nature, les instincts de ses élèves, il encourage leur imagination, il leur apprend à subordonner leur pensée aux applications des métiers. Tout ce qu’expose son atelier est intéressant ; quelques pages sont de tout premier ordre. J’ai regardé avec un plaisir particulier un carton de mosaïque inspiré par l’hortensia, un projet de vitrail, un modèle de verrerie de table, un pendentif, des reliures, des papiers de garde aux chaudes vibrations, des illustrations pour accompagner un texte de livre, et cette énumération seule laisse deviner toute la variété de ce remarquable enseignement. Un atelier de broderie au crochet de Lunéville, crée de très curieux costumes, destinés surtout au théâtre.
La première exposition du Comité de direction, en février 1915, nous avait donné de grands espoirs. Ces espoirs sont largement réalisés. Seul, l’atelier de bijouterie et ciselure a disparu, par suite de la reprise du travail et des demandes des usines de guerre. Il se rouvrira, sans doute, plus tard et il faut que les autres aient leur existence désormais assurée. On ne saurait, en effet, attacher trop d’importance à la manifestation que je viens, trop rapidement, de décrire. Elle dépasse infiniment sa, portée locale. Les jeunes gens du vingtième sont heureux. Toute la jeunesse a droit à la même chance, et le pays a besoin, pour le travail national, de recrues solidement préparées. La crise de l’apprentissage n’a que trop duré. Le Sénat est en train d’essayer de la conjurer en votant la loi Astier. L’exposition du vingtième arrive à son heure. Elle montre ce dont sont capables les bonnes volontés combinées. C’est avec le concours des militants socialistes et syndicalistes que se résoudra, partout comme au vingtième, la question de l’apprentissage. Qui donc, au reste, aurait, plus que les socialistes et les syndicalistes, intérêt à faire de l’ouvrier un homme libre ?