code_galerie Chroniques de l"Humanité, Site Léon Rosenthal

 

 

Léon Rosenthal, militant, critique et historien d'art

Maurice Denis, L’Humanité, « L’Actualité artistique », 11 juillet 1916, p. 3.

Ceux qui admirent en M. Maurice Denis un des peintres les plus originaux de ce temps ont, à l’heure présente, une double occasion de l’étudier à la Cité reconstituée où il a décoré d’un Chemin de Croix la très intéressante église provisoire de M. Placide Thomas, et à l’exposition liturgique ouverte par l’Union [centrale] des Arts décoratifs au Pavillon de Marsan, où il présente une grande composition destinée à la chapelle absidiale de l’église Saint-Paul de Genève.

M. Maurice Denis appartient à un groupe d’artistes qui, en réaction contre un réalisme trop étroit, réintégrèrent dans l’art les réalités supérieures de l’esprit. Il n’a jamais manié le pinceau pour exprimer un pur spectacle et a mis, dans tout ce qu’il a fait, quelque chose de lui-même. Catholique très convaincu, il a traduit sa foi dans des pages vraiment religieuses. Il a célébré, avec la même ardeur ingénue et spontanée, les joies de l’art, les beautés de la nature, les passions nobles. Les mythes antiques ont retrouvé, pour son imagination, une vitalité nouvelle. Au service de sa pensée originale, il a constitué un langage pictural personnel, langage elliptique et synthétique qui s’est, peu à peu, précisé et enrichi à travers une évolution d’une netteté singulière. Il faut se familiariser avec son mode d’expression et en accepter les termes si l’on veut entrer en communion avec lui.

En examinant son Chemin de Croix, on verra avec quelle intensité il a évoqué des scènes qui lui sont apparues directement par une méditation sur laquelle n’ont pas pesé les images traditionnelles. Il a conçu avec la même liberté évocatrice la composition destinée à glorifier saint Paul. Il a substitué, à un respect littéral des épisodes consacrés, une conception symbolique où tout est relié et où l’essentiel est mis en relief. À gauche, en un site d’Orient, est rappelée la conversion de l’apôtre sur le chemin de Damas ; au centre, sur la Méditerranée, saint Paul, debout dans une barque, entouré d’hommes venus de tous les points du rivage méditerranéen, leur prêche la bonne parole ; à droite, au milieu d’un site italien, est représenté son martyre. Ainsi se résume l’œuvre de celui qui, venu de la Palestine, marcha vers l’Occident, répandant parmi les Gentils la prédication faite d’abord parmi les Juifs.

L’ampleur de l’exécution, simple, une et lumineuse, vraiment monumentale, répond à la force de la conception. La page est digne de l’auteur de Psyché, de la décoration du Théâtre, des Champs-Élysées, du salon de musique, de l’église du Vésinet.