code_galerie Chroniques de l"Humanité, Site Léon Rosenthal

 

 

Léon Rosenthal, militant, critique et historien d'art

Problèmes urgents (I), L’Humanité, « L’Actualité artistique », 11 juillet 1916, p. 3.

Voici plus de treize mois que la loi Cornudet sur l’aménagement et l’extension des villes attend la ratification du Sénat et rien, jusqu’à présent, ne témoigne que la haute assemblée soit disposée à l’examiner bientôt. Les uns prétendent que le Sénat se refuse à légiférer, avant la fin de la guerre, sur un point si important ; les autres qu’il entend substituer un nouveau texte à celui que la Chambre a adopté, ou encore qu’il prépare un projet concernant uniquement les régions envahies à l’exclusion des autres, à moins que ce ne soit juste le contraire. Bref, par le fait de notre constitution anarchique, la bonne volonté de la Chambre se trouve paralysée. Je regrette bien, au lendemain du jour où le Sénat vient de voter la loi Astier destinée à organiser l’apprentissage, d’avoir à protester contre son inertie et m’étonne qu’il ne se trouve, parmi les sénateurs, aucun homme d’énergie pour réveiller ses collègues.

Pourtant, chaque jour démontre davantage l’urgence de mesures capables de hâter et de diriger la restauration de nos cités détruites. Un rapport officiel, rédigé par un haut fonctionnaire et adressé au ministre de l’Intérieur, rapport qui a été publié, nous offre les premières précisions sur l’étendue des ravages. À l’heure actuelle, en dehors du département des Ardennes totalement envahi, environ 2 550 communes sont encore occupées par l’ennemi. Il est impossible de mesurer ce qu’elles ont souffert et de prévoir ce qu’elles auront à souffrir encore. Dans la zone des armées, près de 250 communes ont dû être évacuées par la population et l’administration civiles et on peut les considérer comme totalement ou presque complètement détruites. Sur 753 communes occupées, un moment, par l’ennemi et sur lesquelles on a pu réunir des renseignements précis, 74 ont eu plus des trois-quarts de leurs maisons détruites, 148 sont plus qu’à moitié ruinées. Dans ces 753 communes, au total, 16 669 maisons sont détruites, 25 594 sont gravement endommagées, 221 mairies, 379 écoles, 331 églises sont en ruines. La plupart de ces édifices publics étaient fort modestes, mais l’hôtel de ville d’Arras, la cathédrale de Reims y sont englobés. D’autre part, 330 usines sont anéanties autour desquelles vivaient plus de 55 000 personnes.

Ces chiffres ont une éloquence sinistre. Ils ne nous découvrent, pourtant, qu’une faible partie du ravage. Le bilan, lorsque le territoire aura été libéré, sera certainement effroyable. Mais, précisément parce que nous devinons qu’une œuvre immense sera à accomplir, que nous serons assaillis, de toutes parts, par les problèmes les plus complexes, il convient, dès à présent, de nous armer et de nous préparer à agir.

Nul ne peut supposer que les cités détruites soient réédifiées au hasard et l’on n’imagine pas que les pouvoirs publics abdiquent devant des nécessités si pressantes. L’opinion, d’ailleurs, commence à deviner la gravité de questions qui, pendant longtemps, lui avaient échappé ; les techniciens s’informent ; ceux d’entre eux qui, au premier moment, avaient surtout témoigné la crainte d’être troublés dans leurs habitudes sont revenus à des sentiments plus louables ; le gouvernement institue des commissions d’étude ; des écoles spéciales vont prochainement s’ouvrir. Tout ce mouvement précède l’œuvre législatrice et forcera, demain, le Sénat à légiférer. Il me paraît opportun de l’étudier un peu ici.

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Tout d’abord, un travail très intéressant s’accomplit autour de l’exposition de la Cité reconstituée. J’ai déjà dit, le jour où elle fut ouverte, l’objet que se proposait cette exposition organisée par les hygiénistes et techniciens municipaux, par le Musée Social et par les architectes urbanistes. Il s’agissait de préparer, à la fois, l’étude des reconstructions provisoires et celle des reconstructions définitives. Pour le premier point, des industriels proposent des types de baraquements et habitations susceptibles d’être édifiés rapidement, à bon marché et, autant que possible, sans main-d’œuvre spéciale ; ils exposent aussi des matériaux nouveaux ou nouvellement combinés, capables de se substituer, au moins temporairement, aux matériaux traditionnels qui seront coûteux et rares.

De grands efforts ont été accomplis, des éléments sont rassemblés qui aideront aux solutions pratiques. Est-ce dire qu’il n’y ait plus rien à faire ? Les exposants eux-mêmes ne le pensent pas. Ils ont fait preuve de bonne volonté, d’ingéniosité, d’initiative. De la comparaison entre leurs projets surgiront certainement, pour eux-mêmes, pour des concurrents nouveaux, des suggestions intéressantes. Dans six mois il y aura lieu, sans doute, de créer une nouvelle exposition. Celle-là, je pense, sera officielle et organisée par l’État qui a laissé, cette fois-ci, perdre une occasion magnifique de faire preuve de vigilance. Cette seconde exposition, si elle se fait, sera assurément supérieure à la première et ceux qui ont formulé des critiques seront satisfaits. Il n’empêche que la manifestation actuelle aura déclenché le mouvement et rendu les plus signalés services.

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Le second objet de l’Exposition est de préparer l’œuvre de reconstruction définitive. Pour y réussir, elle offre au visiteur deux collections scientifiques dont l’examen est éminemment suggestif : d’une part, une collection de plans et de projets dus à des architectes français et dans lesquels se manifestent la science, l’ingéniosité, le goût de nos urbanistes ; d’autre part une collection de plans et de vues empruntés à toutes les civilisations, formée par le professeur Geddes, d’Edimbourg, pour illustrer l’histoire de l’évolution des cités.

Ces documents seraient, sans commentaires, difficilement accessibles au public, mais, et c’est là la principale originalité de l’Exposition, tout un enseignement a été organisé, et des conférences, groupées en cycles, travaillent à répandre les idées dont la diffusion est, à l’heure présente, nécessaire. Le professeur Geddes a mis libéralement son temps et son expérience à notre service. Il est toujours prêt à fournir des explications ; il le fait avec une grande clarté et une verve bien amusante. Je l’ai entendu parler sur l’extension de Dublin de la façon la plus vivante et la plus instructive.

Des journées provinciales, qui se succèdent chaque lundi, sont consacrées à l’examen des besoins de chaque région et à l’analyse de leurs caractères et de leurs traditions. Il m’a été donné d’assister à une causerie où M. Bonnier, l’éminent architecte, faisait revivre, avec une sensibilité spirituelle, le charme d’un village du Nord.

Enfin l’on s’est proposé de résumer, en douze conférences, la série des problèmes généraux que comporte l’art des villes. C’est ainsi que M. Georges Risler a dernièrement étudié, sous la présidence de notre ami André Lebey, la portée sociale de l’urbanisme. Il a envisagé, tour à tour, l’ouverture nécessaire de dispensaires d’hygiène sociale, l’installation de bains-douches dans les écoles primaires agrandies, la création de salles de concert, de stades athlétiques et traité, dans l’esprit le plus généreux, la question de l’habitation ouvrière. Voilà donc un premier foyer d’action dont le rayonnement bienfaisant se manifeste, dès à présent, efficace. Je dirai, prochainement, ce qui s’élabore par ailleurs.