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Léon Rosenthal, militant, critique et historien d'art
Anatole de Baudot a consacré sa vie à la rénovation de l’architecture française. Architecte, par les édifices qu’il a construits et par les projets qu’il a signés, chef d’atelier, par les disciples qu’il a formés et auxquels il a su communiquer sa foi, professeur d’histoire de l’architecture française au Trocadéro, par un enseignement de trente ans, il a, avec une ardeur inlassable, soutenu des idées auxquelles il s’était indissolublement attaché. Au moment où il touchait à sa fin, il préparait un ouvrage dans lequel il voulait condenser son enseignement et sa doctrine. Ce livre, il n’a pas eu le loisir de l’achever, mais un de ses fidèles élèves s’est chargé de ce soin. Il paraît aujourd’hui et, dorénavant, aucun de ceux qui s’intéressent à l’avenir de notre art ne pourra se dispenser de le méditer.
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La décadence de l’architecture française au XIXe siècle est un fait assez généralement reconnu. De Baudot en recherche les causes et il en découvre deux essentielles. D’abord, les architectes, hantés par les formes du passé, ont renoncé aux conceptions personnelles et à l’invention pour imiter, sans discernement, les œuvres anciennes. Persuadés que l’architecture est, selon un mot de Charles Garnier, un art permanent dont les lois ont été depuis longtemps établies, ils mettent leur gloire à faire entrer, dans leurs édifices, des motifs, des proportions, des beautés dont les Grecs et les Romains leur ont fourni les exemples, ou bien ils se mettent à la remorque des artistes de la Renaissance, du XVIIe et du XVIIIe siècles qui, eux-mêmes, se sont inspirés de la Grèce et de Rome. D’autre part, l’enseignement officiel, qui préconisait cette esthétique déprimante, a ramené l’apprentissage d’un art essentiellement pratique à une discipline purement théorique. Jadis, l’architecte vivait sur le chantier, secondé par des ouvriers admirables ; il avait sur eux la haute main et il savait leur imposer son autorité et sa direction parce que rien des métiers ne lui était étranger. Tout jeune, il avait été mêlé au travail ; il avait grandi au milieu des échelles et des pierres. L’École des Beaux-Arts a rompu cette unité. L’architecte ignore le maçon. On lui donne des notions abondantes, très variées ; il est très instruit, plus instruit, sans aucun doute, que ses devanciers, mais sa science est toute livresque. Capable de dessiner des projets de concours très brillants, il se trouve dérouté dès qu’il touche aux réalités.
Cette ignorance technique eût été déplorable à toute époque ; elle l’est particulièrement à la nôtre. La complexité de la vie contemporaine oblige l’architecte à des soins multiples auxquels il est mal préparé. Pour aménager les conduites d’eau, assurer l’évacuation des eaux usées, régler le chauffage des immeubles ou, simplement, pour utiliser les charpentes de fer, quand il a à couvrir de vastes espaces, il est obligé de laisser agir des entrepreneurs, des spécialistes, des ingénieurs. Il se trouve ainsi à la merci de collaborateurs qu’il est hors d’état de contrôler et sur lesquels il a dû renoncer à avoir la haute main. Assailli, de plus, par les exigences et les idées déraisonnables d’une clientèle qui n’accepte pas son autorité, l’architecte voit sa profession, de jour en jour, plus discréditée.
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Pour réagir contre ces vices, faut-il tenter, par un effort radical, de rompre tout lien avec le passé ? Puisera-t-on l’originalité par une ignorance bienfaisante de chefs-d’œuvre trop étroitement admirés ? Ou encore, pour se défendre du virus classique, demandera-t-on l’inspiration à d’autres époques, au Moyen Âge, aux Byzantins, à l’Orient ? De Baudot ne préconise pas l’ignorance. Il condamne toute copie quel que soit le modèle. Il en appelle simplement de l’histoire servilement consultée à l’histoire mieux comprise.
L’historien et l’archéologue sondent le passé pour découvrir la vérité ; le sociologue essaie de reconnaître les règles qui président à l’évolution des sociétés ; l’esthéticien et l’amateur cherchent des motifs de méditation et d’admiration. L’architecte, en présence des monuments, ne se bornera pas à examiner des formes plus ou moins dignes d’enthousiasme. Il faut qu’il scrute la structure de l’édifice, qu’il pénètre les intentions, les procédés, les secrètes pensées de celui qui, jadis, créa l’œuvre qu’il étudie. Il ne profitera de son examen que s’il arrache aux pierres des confidences.
Cette méthode n’est pas d’accord avec nos habitudes : elle conduit à s’attacher, non pas aux monuments les plus célèbres, mais à ceux où l’homme de l’art trouvera les plus riches suggestions. En voici un exemple saisissant : point de monument plus admiré, ni plus digne d’admiration que le Parthénon. Le penseur, l’artiste, le poète ont médité et continueront à le faire près de ses ruines augustes. Mais le Parthénon, bâti d’ailleurs sous un autre ciel et avec des matériaux qui ne sont pas les nôtres, est, aux yeux du constructeur, un édifice de dimensions médiocres, qui réalise un programme d’une simplicité extrême. Il y a peu de profit pratique à espérer des leçons qu’il offre. Au contraire, une église byzantine, un monument gothique, même secondaires, présentent, pour l’art de bâtir, un très grand intérêt.
De Baudot passe en revue les grandes époques de l’architecture et il remarque que, selon les pays ou les âges, deux grandes tendances ont, tour à tour, prévalu. Tantôt, l’architecte a été, avant tout, un constructeur. Préoccupé de répondre aux programmes que lui imposait la société qu’il servait, utilisant les matériaux, la main-d’œuvre, les ressources techniques et scientifiques dont il pouvait disposer, il a réalisé, par un effort de science et de logique, des édifices dont la beauté dérive, dans la plus large mesure, de la façon parfaite dont tous les problèmes posés ont été résolus. C’est ainsi que l’Égypte, la Grèce, l’époque byzantine et, plus encore, le Moyen Âge français ont produit des œuvres devant lesquelles notre sensibilité est d’accord avec notre raison. Tantôt, au contraire, l’architecte, hypnotisé par une admiration aveugle pour des formes dont il ne cherche pas à comprendre la signification, essaie de les transporter, telles quelles, dans ses propres ouvrages. Comme il ne les comprend pas, il les applique, le plus souvent, à faux ; comme il se préoccupe avant tout de l’effet extérieur, il néglige la structure même, qui est, dès lors, presque toujours vicieuse, souvent en contradiction avec les apparences. Des façades ingénieusement ou richement dessinées se plaquent devant des édifices qui ne leur répondent pas et dont l’aménagement est incommode, la solidité précaire. Les Romains, dont l’architecture, par ailleurs, est puissante et originale, n’ont pas évité ce défaut, et, depuis la Renaissance, le monde moderne et contemporain en a été infecté.
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Les conclusions de cette enquête apparaissent immédiatement. Pour régénérer notre architecture, il faut renoncer aux pratiques des époques illogiques, copistes, factices et retrouver la probité des périodes où l’art fut inspiré par la raison. Un tel effort suppose une révolution dans les idées et dans l’enseignement. Il convient, dans les écoles, de retirer à des époques dont on ne conteste pas les beautés mais dont l’exemple est détestable, la prééminence qu’elles ont usurpée. En développant, au contraire, l’étude du Moyen Âge français, on fera faire aux architectes la plus utile des gymnastiques. Ils n’apprendront pas à fabriquer du faux roman ou du faux gothique, mais, en observant avec quelle franchise, quelle science et quel bonheur les architectes romans et gothiques ont résolu les difficultés qui leur étaient proposées, ils se rendront capables de résoudre, avec un semblable esprit, les problèmes de notre âge.
L’utilisation rationnelle des matériaux, l’économie de la matière, l’unité de structure s’imposeront à eux. Ils sentiront la nécessité d’une instruction pratique ; habitués à fréquenter les chantiers, instruits des propriétés et des ressources de chaque matériau, initiés aux sciences mécaniques, ils seront prêts pour accomplir l’œuvre contemporaine. Cette œuvre prendra, d’elle-même, son originalité. Il ne saurait être question de créer un style nouveau de toutes pièces, car une semblable création serait artificielle et illogique. De l’application loyale des règles rationnelles aux conditions de notre vie découlera, naturellement, une architecture nouvelle. Celle-ci sera neuve parce qu’elle aura à fournir aux hommes des constructions que le passé ignorait ou que le présent a totalement transformées. Gares, docks, hôtels, salles de réunion, bibliothèques, écoles obligeront à l’originalité l’architecte qui voudra les réaliser. D’ailleurs, pour remplir ces programmes inédits, l’architecte dispose désormais de moyens qui manquèrent aux maîtres d’œuvre du passé et ces éléments lui permettent ou lui imposent des audaces et des procédés neufs. Le fer, dont les ressources n’ont été étudiées que depuis un demi-siècle, le ciment armé, dont l’invention est récente, se prêtent à toutes les combinaisons que notre temps réclame.