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Léon Rosenthal, militant, critique et historien d'art
Le débat sur la donation Rodin n’aura pas été inutile. Sans doute, deux députés et l’un d’eux n’était pas uniquement animé par des passions artistiques ont réédité, jeudi, à la tribune de la Chambre, quelques-unes de ces attaques qui, depuis plus de trente ans ont poursuivi le sculpteur génial, mais la Chambre ne les a pas suivis. Elle les a écoutés avec une impatience visible. Leur intervention a provoqué de véhémentes ripostes. M. Bérard, M. Dalimier, et surtout M. de Monzie, dont l’improvisation fut particulièrement heureuse, ont dit les paroles qu’il fallait dire. Ils ont rappelé que la gloire de Rodin était, à l’heure présente, universelle, que son génie honorait la France ils ont adjuré le pays de ne pas lui refuser les couronnes que l’Angleterre, que les États-Unis lui ont déjà- prodiguées. Ce langage a été très applaudi, il l’a été, particulièrement, par les bancs socialistes nous avons le droit d’en être fiers, pas une voix discordante ne s’est élevée parmi nos camarades. Le vote qui a suivi a été significatif 391 voix ont ratifié la création du musée Rodin à l’hôtel Biron. 52 députés avaient voté contre, une cinquantaine se sont abstenus. Cette, opposition et cette abstention auraient été plus réduites encore si l’art de Rodin avait été seul en jeu, et si l’hôtel Biron n’avait appartenu naguère à une congrégation. Plus heureux que tant d’illustres artistes, Rodin se sera donc vu rendre justice avant la fin de sa, vie cela est à l’honneur des esprits clairvoyants qui, depuis de longues années, l’ont compris et l’ont défendu contre d’inintelligentes colères, à l’honneur de l’artiste qui n’a, pas cédé devant les attaques, n’a rien modifié de son art, n’a fait aucune concession pour obtenir la popularité. C’est, enfin, l’honneur de la démocratie qui s’est laissée, peu à peu, conquérir par l’artiste malgré tant d’efforts faits, pour l’en détourner. Ce sera, tout de même, un étonnement pour la postérité que Rodin ait été si tardivement compris. Quand on admirera le Saint-Jean Baptiste prêchant (1880), l’Eve (1881), le monument de Victor Hugo (1880), tant de bustes animés d’une vie prodigieuse, on ne comprendra pas que cet art si raffiné, si grand et si humain ne se soit pas immédiatement imposé, et, surtout, on se scandalisera qu’une admiration unanime n’ait pas salué le sculpteur qui, en 1889, dans ce groupe poignant des Bourgeois de Calais, a célébré, d’une façon sublime, l’héroïsme civique et les sacrifices suprêmes consentis pour la patrie.