code_galerie Chroniques de l"Humanité, Site Léon Rosenthal

 

 

Léon Rosenthal, militant, critique et historien d'art

La sculpture du XIXe siècle au Louvre, L’Humanité, « Notes d’art », 13 octobre 1916, p. 2.

Avec les cinq nouvelles salles qui viennent d’être ouvertes au Louvre, la sculpture contemporaine est désormais représentée dans toutes ses directions essentielles. Jusqu’ici, c’étaient les artistes de génie, les initiateurs les plus audacieux, c’étaient Rude, Barye, David d’Angers et Carpeaux qui incarnaient l’art du XIXe siècle. A présent, auprès d’eux ont pris place ceux dont le talent sobre et mesuré s’est développé, sans révolte, à l’ombre tutélaire des règles et des écoles.

L’occasion serait belle, devant ces marbres trop blancs, qui se détachent sur des murailles trop roses, de faire payer à ces maîtres l’intolérance dont ils sont le prétexte et qu’ils ont, trop souvent, autorisée par leurs enseignements et par leurs discours, de riposter par la violence à la violence, de répondre par l’intolérance à l’injure et de les sacrifier à Rodin. Je ne le ferai pas, d’abord parce que la gloire de Rodin n’y gagnerait rien, ensuite parce que nous avons le droit d’être plus justes que nos adversaires. Si le génie les offusque, nous nous inclinons devant le talent, même quand ce talent, à notre sens, a été mal dépensé ou a été d’un funeste exemple.

Les maîtres qui entrent au Louvre y avaient leur place marquée. S’ils en étaient absents, on chercherait en vain à quels sculpteurs pouvait aller l’admiration de ceux qui se pâmaient devant les tableaux de Cabanel et de Gérôme, devant la littérature d’Octave Feuillet et qui avaient emprunté leurs idées philosophiques à Jules Simon ou à Caro. Ils sont représentatifs de la société bourgeoise, dont l’apogée fut surtout sous le Second Empire et au début de la République actuelle. La correction apparente, la dignité voulue, la froideur affectée de leurs œuvres sont les témoignages d’une époque, d’une esthétique officielle qui fut et est encore puissante.

Ce qui est plus important, ils représentent, avec sincérité, avec une indéniable autorité, quelques-unes des qualités les plus certaines de l’esprit français. Cet enseignement académique ou classique, qui se reflète dans leurs ouvrages, ils l’auraient rejeté s’il n’avait pas répondu à leurs tempéraments. Il y a chez eux, ou du moins, chez les meilleurs d’entre eux, une élévation, une pureté d’inspiration,  une grâce ou une noblesse d’exécution auxquelles on aurait tort de se dérober. L’Enfance de Bacchus et surtout le bas-relief de Perraud, le Faucheur de Guillaume, la Mère des Gracques de Cavelier sont, en leur genre, des morceaux de premier ordre. Il leur est arrivé, trop souvent, de tomber dans la mièvrerie, dont le Premier secret de l’amour de Jouffroy ou la Jeune fille de Schœneverk sont les types, mais quelques-uns d’entre eux ont, à certains moments, été vraiment émus et inspirés et ont su, dans les limites de leur langage toujours réservé, toucher à la puissance ou à la grandeur et j’ai déjà dit l’admiration que m’inspire le Souvenir de Paul Dubois.

Mais, à des degrés divers, leur art est loin de la vie. Quand ils s’émeuvent, ils se rapprochent instinctivement des révolutionnaires et, quand on les a consciencieusement jugés, on respire plus librement quand on se retrouve auprès de ceux qui sont véritablement nos contemporains Ces derniers, d’ailleurs, ont bénéficié aussi des remaniements actuels : les médaillons de David d’Angers ont été groupés. La salle de Barye, définitivement aménagée, est d’impressionnante ampleur. Tout de même, le jour prochain, je l’espère, où l’Âge d’airain, Ève, Saint-Jean-Baptiste, les bustes de Victor Hugo, de J.-P. Laurens, de Puvis de Chavannes viendront se ranger autour des Bourgeois de Calais, dans la future salle Rodin, un souffle de vie viendra traverser les vieilles voûtes et les jeunes gens, préparés par l’admiration de la Marseillaise, du Lion écrasant un serpent, des Quatre parties du Monde, trouveront le guide véritable vers la beauté frémissante et vers la vie.