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Léon Rosenthal, militant, critique et historien d'art
La loi Cornudet sur les plans d’aménagement et d’extension des cités, votée par la Chambre le 2 juin 1915, attend toujours le bon plaisir du Sénat. En une matière aussi grave et aussi urgente, la Haute Assemblée n’a pas cru devoir se départir de ses lenteurs coutumières. Seize mois ne lui ont pas suffi pour aborder la discussion du projet Cornudet, encore bien moins pour prendre une décision.
Une telle inertie n’est pas seulement dangereuse pour l’avenir : elle ne nous expose pas uniquement à voir, au lendemain de leur libération prochaine, les régions du Nord et de l’Est livrées à l’anarchie. Elle paralyse, dès à présent, la reconstruction des régions libérées depuis la bataille de la Marne ou affranchies par l’offensive de la Somme.
Fort heureusement, rien ne peut arrêter l’action irrésistible des idées. Les vues exposées par les urbanistes, par le Musée Social, le mouvement qui s’est produit autour de l’exposition de la Cité reconstituée ne resteront pas vains. Et voici qu’à l’impuissance parlementaire, l’administration essaye de se substituer. Une récente circulaire du ministre de l’Intérieur adressée aux préfets des départements atteints par les événements de la guerre marque un pas décisif dans la question et, sans réaliser tous nos désirs, elle nous délivre, dès à présent, de la crainte de voir succéder aux ruines accumulées par la guerre, les conséquences presque aussi redoutables du désordre et du hasard.
L’objet à atteindre, la circulaire l’expose avec une parfaite netteté : « La restauration des communes détruites doit assurer, aux villes et villages ruinés par le bombardement ou l’incendie, le bénéfice de tous les progrès réalisables, en ce qui concerne leur viabilité, leur salubrité et leur caractère esthétique ». Pour arriver à ce résultat, l’administration reconnaît que les lois actuelles sont imparfaites et elle s’engage formellement à appuyer les projets actuellement soumis à l’examen du Parlement. Mais, et c’est là le point intéressant, elle ne se croit pas provisoirement désarmée. La loi municipale du 5 avril 1884 classe, parmi les dépenses obligatoires des communes, l’établissement et la conservation d’un plan général d’alignement et de nivellement. Il suffit de faire appliquer la loi et de l’appliquer selon des conceptions nouvelles.
Faire appliquer la loi. L’administration reconnaît, sans réticence, qu’elle a manqué, jusqu’à présent, à ce devoir et nous serions mal venus à lui en faire un reproche à l’heure où elle annonce, spontanément, qu’elle va changer de méthode. En ce moment, toutes les communes atteintes par la guerre sont invitées à procéder d’urgence, à l’établissement de plans. Cet avis impératif s’adresse à toutes les agglomérations quelle qu’en soit l’importance ; il concerne toutes les cités dès à présent libérées et s’étendra, automatiquement, à toutes les cités ultérieurement délivrées au fur et à mesure de leur affranchissement. L’administration se réserve d’indemniser, dans la plus large mesure, les communes pour les frais d’établissement des plans. Ces plans devront être faits dans un délai qui, selon l’importance de la commune, varie entre quatre et six mois. Des reconstructions, avant que les plans approuvés soient devenus définitifs, ne pourront être autorisées qu’à titre tout à fait exceptionnel et avec la plus grande prudence.
Voici donc le principe des plans de reconstruction entré dans la réalité. Pour le moment, il ne s’agit que d’alignement et de nivellement. Sans doute, mais l’administration précise tout ce que l’on peut faire rentrer dans une rectification d’alignement. Elle spécifie qu’il ne s’agit pas d’opérations de simple voirie et de modifications de détail. Il convient, selon ses indications, d’envisager le bouleversement introduit, dans la circulation par le développement des transports automobiles, de répondre aux exigences de l’hygiène publique par la création d’espaces libres et de veiller à la beauté des cités en assurant « dans la plus large mesure possible, la conservation des souvenirs historiques et archéologiques, le maintien du style d’architecture spécial à la région, le respect des paysages, des cités et des aspects pittoresques». Les municipalités sont invitées formellement à procéder à de larges expropriations partout où les immeubles ont été détruits et à trouver « dans les circonstances résultant malheureusement des événements actuels l’occasion de réaliser, dans des conditions exceptionnellement avantageuses, l’assainissement et l’embellissement de leurs communes, puisque le payement de la valeur des constructions détruites sera supporté par l’État, au titre de réparation des dommages de guerre ».
Pour le nivellement, au contraire, la circulaire l’envisage uniquement comme une opération d’hygiène destinée à régler l’écoulement des eaux et elle n’encourage à aucun degré, la manie d’aplanissement qui a rendu tant de cités monotones. Telle qu’elle est, la circulaire de M. Malvy marque une étape essentielle dans la voie de l’organisation des cités. Il reste à élargir le champ d’inspection, à prévoir l’extension des communes, à imposer la loi au pays tout entier, il reste aussi à modifier les règles de l’expropriation. Cela est du domaine législatif, et le Sénat, il faut l’espérer, ne se dérobera pas indéfiniment à nos espoirs, à son devoir.