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Léon Rosenthal, militant, critique et historien d'art
C’est, on le sait, notre ami, le sculpteur Gabriel Pech, l’auteur du fidèle et vivant portrait de Jaurès, qui sort vainqueur du concours institué pour l’érection d’un monument à la mémoire de miss Cavell. Parmi les quinze sculpteurs qui avaient été admis au second degré du concours et dont les projets sont exposés, ainsi que le sien, au Petit Palais, aucun, peut-être, n’avait apporté, dans la conception de son ouvrage, plus da simplicité. Miss Cavell était une simple femme qui a accompli obscurément un héroïque devoir et que le martyre a auréolée. Pour la glorifier, un grand apparat, une accumulation de figures ou d’allégories n’étaient point requis. L’artiste a évoqué, tout uniment, l’image de la femme au grand cœur lâchement assassinée. Elle est là, étendue devant nous, telle que la mort nous l’a faite. Un casque prussien, qui a roulé près de son corps, rappelle, seul, sous quels coups elle succombe, et ce casque même je le supprimerais volontiers car il rompt la ligne et n’ajoute rien à ce que nous savons tous. Derrière la victime se profilent, largement et discrètement esquissés, des pans de muraille, un coin de ville ruinée, et, à travers ces ruines, modelée de la façon la plus atténuée, se devine, plutôt qu’elle ne se laisse apercevoir, une figure allégorique qui offre à la martyre une couronne.
Le projet de Gabriel Pech sera réalisé et adossé à la salle du Jeu de Paume, sur la terrasse des Tuileries. Le jury a, de plus, accordé des primes à trois autres concurrents. Le projet de M. Vermare, classé second, offrait une figure allégorique de belle venue mais présentait un développement vraiment excessif. M. Gasq, classé troisième et M. Ernest Aubois, classé quatrième, sont des artistes réputés, mais le mérite de leurs esquisses m’échappe et je me demande pourquoi ils ont été préférés à des rivaux moins favorisés. Un des concurrents avait représenté, dans un groupe d’un arrangement très délicat, miss Cavell relevée par des infirmières et des mères des nations alliées. Un autre, dont l’ouvrage avait grande allure, avait divisé l’hommage il plaçait, dans une niche, miss Cavell morte se détachant, sereine, sur un bas-relief d’horreur, et érigeait, au-dessus, un groupe allégorique de l’Angleterre, la Belgique et la France étroitement unies. Mais c’est le destin de, tous les jurys de voir critiquer leurs verdicts contentons-nous, pour aujourd’hui, de nous réjouir du succès de Pech.
Ce que le peintre Henry de Groux expose (64 bis, rue de la Boétie), ce ne sont pas des images, mais des visions, des hallucinations de guerre. Talent vigoureux, âpre, mais extraordinairement inégal, capable de réaliser sa pensée, mais aussi de la balbutier, parlant un langage puissant et informe, Henry de Groux n’est peut-être pas, à proprement parler, un peintre, mais il est un esprit singulièrement dramatique et pénétrant. Que d’autres se scandalisent de certains barbarismes du pinceau, du crayon ou de la pointe, pour moi je me laisse saisir par ses compositions tumultueuses où la guerre apparaît gigantesque et horrible.
Le talent de Bernard Naudin est devenu si populaire que je ne vous inviterais pas à aller voir, chez Pelletan (125, boulevard Saint-Germain), des œuvres que vous avez déjà admirées, si l’artiste n’y présentait aussi une suite de dessins de femmes nues, dessins à la fois directement étudiés et allégoriques, d’une remarquable intensité, et où son talent revêt des formes jusqu’ici inconnues. Je vous parlerai prochainement des salles nouvellement ouvertes au musée du Luxembourg, et tiens, tout au moins, dès à présent, à vous les signaler.