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Léon Rosenthal, militant, critique et historien d'art

Nouvelles salles au musée du Luxembourg, L’Humanité, « Notes d’art », 28 novembre 1916, p. 2.

Le musée des Alliés que M. Bénédite a installé au Luxembourg et qui comportait, déjà, des salles belges et anglaises vient de se compléter par une salle italienne. Bien que les Italiens aient eu des artistes de grand talent au XIXe siècle, ils sont loin d’avoir donné leur mesure et l’art a été une des formes les plus tardives de leur résurrection. Pendant longtemps, ils n’ont paru retrouver de leur grandeur passée qu’une extraordinaire et, trop souvent, superficielle virtuosité. Peu à peu, ils se disciplinent, ils élaborent les leçons qu’ils ont été prendre chez leurs voisins, surtout auprès de nous-mêmes ; ils constituent un art moins en dehors dont les belles qualités de facture s’appliqueront à une pensée désormais nationale. C’est ce que l’on pourra observer dans cette salle où l’Italie est, d’ailleurs, loin d’être entièrement représentée et où je regrette l’absence de Segantini et des divisionnistes qui représentent, à leur manière, les innovations de nos impressionnistes. Deux petites statuettes de bronze, l’une de Vincenzo Gemito, semblent tout imbues des traditions pompéiennes renouvelées par une observation personnelle et directe.

En même temps, M. Bénédite a organisé une grande exposition de dessins de maîtres français de la seconde moitié du XIXe siècle, ensemble vraiment admirable et qu’il a su très habilement mettre en valeur. Le premier mouvement, en pénétrant dans ces salles, est de se dire : « Et quoi ! Nous possédions ces richesses qui font tant honneur à notre école, où les tendances les plus diverses se manifestent en pages de premier ordre, et nous ne les montrions pas ! Par quelle réserve singulière, par quelle manie inexplicable, nous refusions-nous à nous faire connaître ? Avions-nous peur que la jeunesse, mise au contact de la pensée intime des maîtres, y puisât de trop fortes leçons ? Craignions-nous d’instruire les étrangers qui visitent la France sur le scrupuleux et le savant travail qui a présidé à des ouvrages dont la spontanéité est soutenue par une élaboration patiente ? »

La vérité est que le musée du Luxembourg était dix fois trop petit, que, depuis longtemps, les artistes réclamaient la création d’un musée vraiment digne de nos trésors. À la veille de la guerre, on avait décidé, avec peine, non pas de créer, de toutes pièces, un palais adapté à sa fonction, mais de transférer les collections d’art moderne dans l’ancien Séminaire de Saint-Sulpice. Solution bâtarde : l’espace ne fera pas défaut, mais les dispositions seront nécessairement défectueuses et les dépenses faites pour y remédier suffiraient, sans doute, pour élever l’édifice vaste, mais parfaitement simple qui serait un musée parfait.

Pour revenir aux dessins exposés, ils pourraient servir de prétexte à une étude complète sur l’évolution complexe de notre art contemporain. Contentons-nous d’y jeter un coup d’œil rapide. Voici de grands cartons de compositions décoratives. L’un d’eux, signé par Paul Baudry qui décora l’Opéra et fut un des plus adulés parmi nos maîtres officiels, est un lamentable exemple des erreurs auxquelles conduisent le manque de sincérité, le désir de plaire et les pratiques académiques. An contraire, les cartons de Puvis de Chavannes montrent la puissante élaboration des types et des formes par un artiste de génie et les compositions mystiques de Besnard pour l’hôpital de Berck, comme ses esquisses pour l’École de Pharmacie ont une sève magnifique et sont tout imprégnées d’un sentiment humain.

Certains dessins sont des études : l’artiste ne les a point faites pour elles-mêmes : elles ont exercé sa main ou sa sensibilité ; il y a préparé une composition quand nous les regardons, c’est une confidence qu’il nous fait. Vous admirerez les dessins de Fantin-Latour d’une émotion si intime, la maîtrise impeccable de Ferdinand Gaillard, les notes incisives de Bastien-Lepage, mais vous regarderez aussi certains dessins de Meissonier et vous rendrez hommage à Delaunay, un des moins célébrés et, peut-être, le meilleur des artistes officiels d’il y a trente ans. D’autres dessins sont des œuvres complètes où l’artiste a dit toute sa pensée : portraits de Legros, de Paul Flandrin, de Bracquemond, paysages de Cabat ou de Pointelin.

Arrêtez-vous devant les pastels de Besnard et de Degas, devant les rêveries étincelantes de Gustave Moreau et terminez votre visite par l’exposition d’ensemble de l’œuvre d’Auguste Lepère, peintre, graveur sur bois, aquafortiste, illustrateur, chez qui l’inspiration la plus abondante s’est alliée à la pratique du plus beau métier.