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Léon Rosenthal, militant, critique et historien d'art

Une exposition de jouets. Le devoir des artistes, L’Humanité, « Notes d’art », 8 décembre 1916, p. 2.

La seconde exposition de jouets au Pavillon de Marsan (107, rue de Rivoli) offre, sans doute, moins de piquant et d’imprévu que la précédente. Celle-là nous avait charmés par tout ce qu’elle montrait d’ingéniosité et de rivalité chez nos artistes. Celle-ci – et comment s’en étonner ? – ne fait guère que développer les inventions mises en lumière par la précédente. L’atelier des mutilés de la guerre, qui avait été le clou de la première exposition, continue, sous la direction de Le Bourgeois, de Rapin et de Jaulmes, sa production somptueuse et ajoute à ses perroquets et à ses éléphants des paons et des chevaux. Le jouet d’Auvergne associe à ses vaches, à ses brebis et à ses porcs toute la population de l’arche de Noé. Mme Lauth-Sand habille, comme naguère, de riches poupées en étoffes.

Cette continuité n’est pas indifférente. On eût pu craindre de voir le jouet abordé un moment par caprice et délaissé immédiatement. Désormais, un courant est créé qui ne s’arrêtera plus. De plus, et c’est peut-être là le plus grand intérêt de l’exposition nouvelle, les artistes ne sont plus seuls à se produire. Les grands magasins de nouveautés ont leurs stands, pour lesquels ils ont réclamé la collaboration d’artistes en renom.

On  souvent déploré l’indifférence, en matière d’art, de ces maisons puissantes, dont l’action est si considérable sur le grand public. Sauf quelques exceptions, rares d’ailleurs et partielles, elles n’avaient pas vu, jusqu’à ces derniers temps, que leur intérêt était de soutenir les décorateurs modernes au lieu de les ignorer. Elles continuaient indéfiniment à offrir à leur clientèle des modèles traditionnels ; ou bien, quand un article neuf paraissait dans leurs étalages, il venait du Japon, de Londres ou, plus souvent encore, de Berlin ou de Vienne. Elles commencent, semble-t-il, à s’apercevoir qu’elles faisaient fausse route. L’exposition des jouets en est un témoignage et je m’empresse de le noter.

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Je demandais récemment à un artiste qui, depuis plusieurs années, travaille à renouveler le cadre de notre vie moderne, s’il n’allait pas exposer bientôt quelques-unes de ses œuvres nouvelles.

– Y pensez-vous, s’est-il récrié ! Quoi, tandis que nos jeunes camarades sont mobilisés, qu’ils donnent toute leur activité au pays, qu’ils se battent et bravent la mort, j’irais, moi, profiter de leur absence, pour me faire valoir auprès du public, accaparer l’attention et récolter des commandes ? J’exposerai, avec eux, quand ils seront revenus.

– Prenez garde, ai-je riposté. Votre délicatesse vous honore, mais j’ai peur, mon cher ami, que vous l’appliquiez mal à propos et je me demande si vos scrupules ne vont pas précisément à l’encontre de vos intentions. Vous agissez comme si les décorateurs modernes avaient conquis entièrement la faveur publique et comme si, libérés de toute concurrence, ils n’avaient plus qu’à se partager les travaux. Vous savez bien qu’il n’en est rien. Les objets dits de style n’ont pas cessé d’être en faveur. Les fabricants, qui ne sont pas embarrassés par vos cas de conscience, continuent à alimenter le commerce. L’étranger n’a pas renoncé à envahir le marché. L’intérêt des artistes qui se battent n’est pas que vous désertiez la lutte artistique, que vous laissiez oublier la cause qu’ils ont embrassée, que vous laissiez se répandre cette idée funeste que l’art moderne est mort. Leur intérêt est que vous teniez le public en haleine, que vous entreteniez une atmosphère favorable. Ils ne sauraient vous en vouloir si vous continuez à gagner votre vie en leur absence, mais ils seraient en droit de vous faire des reproches si, rentrés dans leurs ateliers, ils s’apercevaient que, par votre faute, on les a totalement oubliés. Vous êtes solidaires : si vous avez du succès, loin de les desservir vous leur êtes utile. Vous les ruinez par votre abstention. Que redoutez-vous, au reste ? D’enlever les quelques commandes que l’on peut obtenir en ce moment ? Vous oubliez qu’après la fin de la guerre, il y aura une ère de prospérité magnifique pour nos arts. Ne dit-on pas que des centaines de milliers d’Américains ont, dès à présent, retenu leurs places sur les paquebots et loué par avance des automobiles pour visiter notre pays dont ils ne repartiront pas sans avoir fait d’importants achats ? Il y aura de la place pour tout le monde. Mais il faut préparer et entretenir l’opinion. Votre devoir n’est pas de rester chez vous, mais de vous produire et de défendre, par vos œuvres, la cause qui vous lie avec ceux qui sont sur le front.

En post-scriptum : « […] La Société des architectes diplômés organise pour le début de l’année prochaine une exposition documentaire d’art régional destinée à préparer le travail des reconstructions dans les régions envahies. L’exposition aura lieu 8, rue de la Ville-l’Évêque. Elle sera certainement très importante, et j’y reviendrai le moment venu ».